Comme je me prends un peu trop au sérieux, et que certains membres du site deviennent pour moi de véritables modèles de vie, prenez un peu de temps pour lire ce conte sympathique sur un personnage qui l’est un peu moins. Vous trouverez également, glissés dans le texte, certains liens redirigeant vers des articles de presse. (Et remarquez aussi la vaine et imparfaite tentative de copier Anderson).
Il y a aujourd’hui un « sherpa » qui aime tant sa parole, qu'il dépensait tout son temps à discourir. Lorsqu'il passait ses princes en revue, lorsqu'il allait au spectacle ou qu'il recevait, il n'avait d'autre but que de prêcher sa belle parole. Et, comme on dit d'un prince « Il est au conseil », on disait de lui : « Il soigne sa logorrhée. » Conscient ou non de son esprit supérieur, il aimait s’exposer en pythie des temps modernes. Saint parmi les saints, sa parole n’était pas un simple agencement de mots, mais bien un prêche écouté par tous. Et Jacques n’avait pas prévu la date de son retrait.
La capitale était une ville bien gaie, grâce aux nombreux étrangers qui passaient. Mais un jour, il y vint aussi deux fripons qui se prétendaient conseillers en communication, et se vantaient de forger les candidats les plus présidentiables qui soient. Non seulement, les qualités ainsi mises en avant par ces derniers étaient remarquables, mais les candidats, grâce à leur aide et conseils, possédaient à présent une qualité merveilleuse, quasi-magique : ils devenaient convaincants pour toute personne qui savait exercer avec compétence son emploi ou qui avait le plus brillant des esprits. Chose assez rare, que le narrateur (s'il en est un) doit ici souligner.
« Ce sont là d’étonnants conseillers, pensa le sherpa. Grâce à eux, je pourrai reconnaître les incapables de l’intelligentsia parisienne : je saurai distinguer les habiles des niais. Oui, il me faut ces conseillers pour me faire président. »
Et il avança aux deux fripons une forte somme afin qu'ils pussent commencer immédiatement leur travail.
Ils dressèrent en effet tout leur art de la communication, et décidèrent promptement de rédiger un livre politique pour le vieux conseiller, lequel, disait-on, murmurait autrefois à l’oreille des princes. Ils firent semblant de travailler, et malicieux, réunir les propositions déjà existantes des autres candidats, mais pour ne faire plus qu’un.
« Il faut cependant que je sache où ils en sont », se dit Jacques à lui-même.
Mais il hésitait à l'idée que les niais ou les incapables ne pourraient voir l’augmentation de ses qualités pour devenir président. Ce n'était pas qu'il doutât de lui-même ; toutefois il jugea a propos d'envoyer quelqu'un pour examiner l’évolution du travail avant lui.
« Je vais envoyer à ces messieurs mon proche ami commissaire européen, pensa-t-il. C'est lui qui peut le mieux juger un livre politique ; il se distingue autant par son esprit que par ses capacités supérieures. » (« De toute façon, il ira à la Commission à Bruxelles avec l’appui du Président » avait prédit Jacques, 8 mois avant acte).
L'honnête commissaire germanopratin entra dans la salle où les deux imposteurs travaillaient à la confection du programme politique du sherpa.
« Bon Dieu ! pensa-t-il en ouvrant de grands yeux, il n’y a rien de convaincant ni de nouveau ici. Serais-je donc vraiment stupide ? Il faut que personne ne s'en doute ». Mais il se garda bien de le dire à haute voix.
Les deux communicants l'invitèrent à s'approcher, et lui demandèrent comment il trouvait le titre du livre, mais surtout son contenu.
« Eh bien ! Qu'en dites-vous ? demanda l'un des conseillers.
Le titre est remarquable… Les 100 jours... Napoléonien ! » répliqua le technocrate en mettant ses lunettes.
De retour auprès de Jacques, le bon Mosco conforta le futur candidat. Son programme ne serait pas le meilleur, puisque lui-même serait le meilleur candidat à se présenter. Bon gré mal gré, Jacques l’enchanteur disposa enfin de son ouvrage, prêt à être publié ; fin prêt à défiler auprès de chaque tribune médiatique. En remerciement, les deux imposteurs furent décorés, et reçurent le titre de chevalier de la Légion d’honneur.
Pourtant, en présentant ce premier jet à ses compagnons d’élite, le pauvre Jacques remarqua que son ouvrage n’était en rien novateur, et qu’ils n’étaient par conséquent en rien incompétents, ou faibles d’esprit. Seul son propre programme, et son seul talent étaient nuls (au sens de nullus, un narrateur se doit d'être courtois) pour une telle tâche.
Finalement, le sherpa, conscient pour la première fois de son ridicule, décida de ne pas se présenter, et en bon sage, laissa le programme fabriqué à qui souhaite le prendre. « Et le pays sera magnifique ». Fin heureusement rassurante. Mais très certainement désespérante.