Très bien écrite, facile à lire, une synthèse d'histoire globale.
Louis XIV est mort mais en déplaise à Stéphane Bern : on s'en fout. Ou presque... L'empereur de Chine - lui, le Fils du Ciel - n'a que faire d'un soleil si petit car si lointain et de surcroît éteint ; quant à l'Europe, elle exulte, et les Français aussi... Le roi est mort, vive l'Europe ! Mais rien d'exclamatif ailleurs dans le monde : une date est un événement ici, une année quelconque là-bas.
On relativise, l'espace-temps est cloisonné en plusieurs empires (ottoman, perse, moghol, chinois, russe etc) mais ce n'est pas pour autant un monde clos, hermétique : les Européens sont des moustiques voyageurs autour d'empires-éléphants. Et le temps coule et va couler plus vite en Europe pendant que de grands empires vont se scléroser, s'arrêter, disparaître.
L'historien T. Sarmant nous présente tous les ressorts d'un futur proche : l'hégémonie occidentale sur un monde en pleine mutation. En 1715, émerge un embryon d'UE sous l'idéal de la paix perpétuelle, une Europe qui considère de plus en plus ses conflits comme des conflits intestins ; il est aussi question des ambassades, des voyages, d'émulation qui préparent et stimulent les Lumières (l'importance capitale du livre, du savoir empirique) ; l'intense activité coloniale des Européens, à la grande faveur des Britanniques, tranche avec le déclin des grands empires musulmans (moghol, perse, ottoman).
En ce début de XVIIIe siècle, le monde craque de toutes parts mais au profit d'une Europe pourtant fatiguée par le règne belliqueux de Louis XIV. L'Angleterre se fraye la première un chemin dans ces anfractuosités mondiales, avant-garde de la modernité européenne. La mer sera son salut, le monde son empire, sa puissance jalousée. Le dynamisme du Vieux-Continent le rajeunit et fait réagir ses voisins même si d'autres puissances feignent l'indifférence ou en ignorent vraiment la réalité.
Ainsi voit-on la Russie de Pierre le Grand "convertie" à la modernité occidentale tandis que les Ottomans peine à contrer cette Europe ascendante, la lointaine Chine des Qing assure un impérialisme de proximité en lorgnant vers le Tibet et la Sibérie. Cet Empire reste au Milieu tandis que l'Europe va devenir le milieu d'un empire mondial, elle mène le jeu sur toutes les mers du globe. On connaît la suite aux XIXe et XXe siècles...
Trois siècles plus tard, la Chine reprendra de l'écaille du dragon, elle se remet au Milieu du monde, un monde nouveau ; l'Europe rentre dans son lit après avoir inondé la terre, on porte le t-shirt de Rio à Tokyo, le Portugal se voit en XXL en regardant le Brésil, l'anglais demeure lingua franca ; le monde musulman n'a plus ni calife ni sultan mais une ribambelle de possibilités, les empires éclatés ont mis en étincelles des nations. Et comme la mort d'un roi français pour un empereur chinois, le modèle européen trouve aussi ses indifférents : contestataires, non-alignés, alter-mondialistes.
Ce livre fout le vertige et stimule bien l'esprit.