1984
8.3
1984

livre de George Orwell (1949)

Big Brother, quand tu nous tiens...

Lire un livre d'anticipation a toujours quelque chose de déconcertant, quand il est bon, d'une part; mais surtout quand on le lit comme moi, bien après sa parution.
Tout d'abord, les contemporains de George Orwell ne pouvaient pas imaginer ce qu'il allait se passer dans l'URSS et pendant la Guerre Froide. Il ne faisaient d'aileurs que découvrir l'horreur du Nazisme au moment de la parution du livre. Oublierais-je de le préciser, c'est un monument, une stèle à l'effigie de la liberté au sens large.

Mais cette stèle prend une forme assez inhabituelle. La narration bien qu'efficace, est glauque, pessimiste. Chaque page vous arrache toujours un peu plus de lumière, d'espoir ou de bonne humeur.
Le rythme du livre est également très particulier, puisque l'histoire est précise, claire et bien mise en place, mais certains passages sont très abrupts dans la narration. On passe vite et presque sans transition à un autre point clef.
L'apparition du "Livre" permettra outre un rebondissement très cynique, une construction en abyme particulièrement bien sentie. Les détracteurs ou les pointilleux (dont je fait partie) pourront souligner que celà casse le rythme et donne une certaine lourdeur. Mais ce passage donne un intérêt crucial en exprimant le point de vue de l'auteur sur les dangers d'un totalitarisme total et ramifié à l'extrême. L'avertissement est dense mais cinglant. Il vous rappelle d'ailleurs à la triste réalité du quotidien, et en tout cas, il fait froid dans le dos.
Quelques ellipses narratives sont assez maladroites, mais la plupart permettent de souligner la folie gagnant peu à peu l'esprit du héros, Winston.
Ce livre est son histoire, mais aussi l'histoire universelle de la docilité des masses, asservies par une hiérarchie en général, avec toujours à l'esprit un despotisme latent et de formes très diverses.
Winston va chercher par tous les moyens à faire le tri entre propagande et réalité, en découvrant au passage de nombreux points, des éléments sur lui même et sur ses proches. Le suspens est magnifique, le rythme la plupart du temps haletant.
Les personnages et leur intégration dans l'histoire donnent un ensemble extrêmement percutant, avec de nombreux rebondissements inattendus et une trame qui vous prend littéralement aux tripes.
Ce roman m'a donné une de ces torgnoles à me faire faire trois fois le tour du slip sans toucher terre. La lucidité, la froideur des situations mais aussi le caractère d'avertissement est impressionnant de maîtrise.
Le cynisme est présent à chaque instant, rappelant la certitude du dénouement, l'impossibilité de s'échapper. La descente aux enfers est effarante, implacable. On souffre littéralement avec Winston.
Impossible de donner trop de précision sans spoiler, et vu l'excellence du livre, je n'en dirais pas plus. Sinon que ça vaut le coup.


Mais le plus sidérant n'est pas forcément la partie romancée. Le principal réside dans l'extrême précision et le parti pris assumé de l'auteur. Il va dénoncer le totalitarisme en en faisant plus ou moins l'éloge, par le biais de différents personnages, dont le fameux O'Brien, ou les enfants endoctrinés. C'est terrifiant.
Mais du coup on sent la dangerosité, le caractère implacable de certaines dictatures. On se dit qu'on n'est pas passé loin avec l'ancienne URSS, qui finalement était une menace réelle. Et puis on regarde la Chine et on se dit merde...

Tout y est, mais dans le roman, la volonté des élites de n'être que moyennement intéressée par l'enrichissement et plutôt par le pouvoir au sens large donne un poids particulier. Il m'a fait penser que chaque principe de cet endoctrinement est déjà parmi nous à différents niveaux.

L'endoctrinement des masses, la propagande et la répression prennent un caractère systémique, implacable et systématique. Par le biais des télécrans, qui émettent et filment en même temps, ou par des micros placés partout, ou même, comble du cynisme, par la menace de dénonciation de ses propres enfants, on est surveillé 24h/24.
Chaque mimique, expression simulée ou mot prononcé en dormant devient motif à être arrêté, puis "vaporisé".
La surveillance constante avec ce télécran que l'on ne peut pas couper me fait d'un coup penser au système kinnect, au Ps move ou à tout ces systèmes de réalités augmentées qui vont bientôt peupler nos salons. Aujourd'hui mon regard n'est plus le même. Sans tomber dans la parano, on y pense dans un coin de l'esprit.

La propagande réécrit également l'histoire, et lorsque Winston prononce cette phrase : "Te rends tu comptes que le passé s'arrête à hier ?", le temps s'arrête. On repense à la propagande Nazie, mais aussi au Stalinisme, au Khmers Rouges...
Mais on se rend aussi compte de la fragilité de l'information. Encore une fois, celle distillée en France est souvent très partiale : Bouygue détient TF1, France télé a des directeurs nommés par l'Élysée, Europe 1 est détenue par le groupe Lagardère, RTL par Havas...
A-t-on une information vraiment impartiale et complète ?

L'abrutissement des masses se poursuit par le biais du travail harassant et du lavage de cerveau, dans les cas même bénins. Aucune exception.
Et le comble est la volonté de détruire la langue commune pour la remplacer par la "novlangue". Une destruction qui donne deux opportunités : réduire le nombre de mots utilisés couramment et donner suffisamment d'ambigüité pour qu'on puisse aisément détourner le mot du contexte dans un but répressif. D'une part. Et surtout réduire les possibilités de penser de ses utilisateurs.
Et aujourd'hui qu'est-ce qui se passe avec l'écriture SMS ? On réduit le nombre de mots, on supprime la ponctuation, on ne s'exprime pas correctement. Et je constate souvent que des ados, même de jeunes adultes ne comprennent pas forcément un texte de difficulté moyenne par manque de vocabulaire...

Dans le roman, Winston a ceci de spécial qu'il a connu l'avant et il doute. Il est surpris de voir les gens accepter aussi rapidement des incohérences, y compris en plein milieu d'un discours officiel.
Un des personnage réagi par l'ennui quand Winston lui expose les faits. Et quand on parle politique avec la plupart des gens, on se rend compte qu'on en est là dans notre entourage...
De manière plus générale, on peut transposer cette pensée avec la dictature de l'économie de marché. Depuis le Krach boursier d'Octobre 1929, on s'est aperçu de la dangerosité de la spéculation. Des mesures avaient d'ailleurs été prise. Puis le Krack de taïwan en 1997, la crise de l'automobile en 2000 puis encore celle des subprimes en 2008 viennent s'ajouter au portrait de famille. Et on se rend compte que l'histoire se répète.
Et à ce moment précis, quand j'ai refermé la dernière page de 1984, je me dis que non seulement George Orwell est un de ces auteurs qui a été particulièrement visionnaire, mais aussi que j'ai froid dans le dos.
Ce livre est peut être un des meilleurs que j'ai jamais lu.
amjj88
10
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le 5 sept. 2013

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amjj88

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