1Q84 est au sens littéral ce que l'on peut nommer un pot-pourri. Des idées, qui considérées à part ne sont pas nécessairement mauvaises mais donnent un aspect fourre-tout à une histoire traînante, voire soporifique. La plume de Murakami est reconnaissable dans les éléments de fantastique disséminés çà et là, entraînant une confusion bienveillante chez le lecteur qui se retrouve aux prises d'une réalité parallèle à la sienne. Ici, le processus est poussé un peu plus loin en introduisant une mise en abîme par le biais d'un des deux personnages principaux, également empêtré dans la confusion de sa propre réalité, Aomamé.
Aomamé est une jeune femme intéressante. Elevée parmi les témoins de Jéhovah, en rupture familiale depuis son émancipation adolescente, elle se révèle être à l'âge adulte une tueuse hors-pair dont les agissements sont commandités par une vieille dame à la situation financière plutôt confortable. On en dirait cependant moins de Tengo, présent dans les chapitres qui s'alternent avec ceux de Aomamé : passionné de mathématiques, aspirant écrivain, sa vie se résume par un contraste saisissant avec elle, à se coucher à 22h, puis se lever à 6h, à écrire des articles anonymes pour des revues anodines, à avoir une relation avec une femme mariée les vendredis à 11h, et au final à vivre dans une monotonie angoissante par peur de tout engagement. Ainsi, comme par un effet de traction vers l'ennui, il ne se passe strictement rien dans 1Q84 avant la 300ème, voire la 350ème page. Les passés de chacun des personnages, intimement liés de façon réciproque par un souvenir d'enfance sont étalés sur des dizaines de pages, en conférant un sentiment croissant d'exaspération à la lecture : quand est-ce que cette fichue histoire décolle ?
Les mêmes longueurs s'étalent dans des scènes relativement superflues, essentiellement sur la vie sexuelle de nos deux protagonistes. Des détails, encore des détails, sur des dizaines de pages et réitérés à de multiples reprises, en plus des répétitions de mots qui auraient pu nous être épargnées par la traductrice ; le procédé passe peut-être bien en japonais, mais en français le parti pris de les conserver est risqué puisqu'il rend parfois le récit assez lourd. Ce que cela fait avancer ? En somme, rien du tout. La quatrième de couverture vous parlera d'un thriller, d'un "roman d'amour", d'une "oeuvre ambitieuse", et d'autres qualificatifs aussi dithyrambiques que peu originaux dans la forme, à l'image des énormes ficelles qui sont employées dans la trame du roman.
Les choses s'accélèrent donc dans le dernier tiers du livre, en créant enfin des énigmes dignes de ce nom, pouvant donner envie de continuer par la suite en terminant la trilogie entamée. D'un autre côté, le procédé utilisé est assez mesquin, on aurait pu facilement retirer une bonne centaine de pages du livre sans que cela ne nuise à l'ensemble final. Dit autrement, on se sent obligé de lire la suite, pour ne pas laisser la chose en friche, et savoir ce qu'il en est de la secte des Précurseurs, des Little People, et de la vérité concernant la réalité alternative que constitue 1Q84.