Boualem Sansal se sert de 1984 le livre dystopique de George Orwellpour révéler les mécanismes de la manipulation et du contrôle des foules en Abistan, un pays totalitaire où toute pensée critique est interdite et qui ressemble à l’Algérie. Le roman suit donc la trame de 1984 mais s’en écarte pour l’actualiser et l’adapter au contexte algérien. Il faut donc endurer une lecture assez aride et un peu trop longue pour pouvoir comprendre les critiques de l’auteur sur le fanatisme religieux et le totalitarisme.
Pour le pouvoir il s’agit en premier lieu d’effacer l’Histoire et de la réécrire pour maintenir les foules dans l’ignorance.
Le pouvoir utilise la police et la violence pour susciter la crainte mais aussi, spécificité de 2084, il se sert d’une Religion officielle dont le nom signifie « l’Acceptation » pour un contrôle total des actions et des pensées. (Boualem Sansal n’écrit jamais Islam, ce qui aurait été trop dangereux pour lui). L’État se satisfait très bien de la religion sous sa forme la plus intégriste, tant qu’elle ne conteste pas le pouvoir politique.
Quel meilleur moyen que l’espoir et le merveilleux pour enchaîner les peuples à leurs croyances, car qui croit a peur et qui a peur croit aveuglément.
Enfin, l’État invente de toutes pièces des Ennemis extérieurs, de l’autre côté de la Frontière, ce qui permet de canaliser les frustrations, les haines et les colères du peuple.
Boualem Sansal a fait preuve d’un grand courage en se proclamant athée dans un pays où 97,9 % de la population se déclare musulman et où une loi prévoit des peines de prison pour toute tentative de « convertir un musulman à une autre religion ».
Il aurait aussi remis en cause le tracé de la frontière entre l’Algérie et le Maroc.
Il n’est donc pas étonnant que le pouvoir algérien ait emprisonné Boualem Sansal en 2024 sous prétexte d’être un agent des Ennemis extérieurs, le Maroc et « la France macronito-sioniste ». La réalité a fini par valider le livre de Boualem Sansal tout en réactualisant le pessimisme visionnaire du livre de George Orwell que l’on cantonne trop facilement à une critique du national-socialisme et du stalinisme de son époque. En emprisonnant Boualem Sansal l’État algérien a montré sa faiblesse mais, maigre consolation, il aura à sa façon commémoré les quarante ans de 1984.