"Je n'ai aucun désir de mort / aucun suicidé n'en a."

D'un côté il y a évidemment le drame, Sarah Kane qui se pend à 28 ans dans les toilettes de l'hôpital psychiatrique où elle est internée, un an avant la sortie de son chef d'œuvre. Pas vraiment de quoi rire. Et pourtant.

Quand je lis cette oeuvre, qui est une pièce de théâtre, un long monologue - apparait parfois ce qui semble être un psy - découpé en petites scènes, je me sens enveloppé d'un étrange amusement. C'est totalement dépressif et pourtant, parfois, souvent - ça dépend de votre niveau de cynisme j'imagine - on ne peut s'empêcher de sourire. On pense un moment à Cioran, sans l'côté Almanach Vermot de De l'inconvénient d'être né.

Par exemple, parfois c'est très drôle, ouvertement. Parfois c'est plus douteux. Je vous laisse décider, plus ces phrases vous plairont, plus vous avez une chance d'apprécier l'œuvre dans sa globalité.

"J'ai rêvé que j'allais chez le médecin qu'elle me donnait huit minutes à vivre. J'étais restée dans sa putain de salle d'attente une demi-heure."

"Pas d'espoir Pas d'espoir Pas d'espoir Pas d'espoir
Pas d'espoir Pas d'espoir Pas d'espoir"

"- Oh, là, là, qu'est ce qui est arrivé à votre bras ?
- Tailladé.
- C'est une façon très immature d'attirer l'attention. Est ce que ça vous a soulagée ?
- Non.
- Est ce que ça vous a soulagée ?
Silence.
Est ce que ça vous a soulagée ?
- Non.
- Je ne comprends pas pourquoi vous avez fait ça.
- Alors demandez-le.
- Est ce que ça soulage la tension ?
Un long silence.
Je peux regarder.
- Non.
- J'aimerai regarder, pour voir si c'est infecté.
- Non.
Silence.
- Je me disais bien que vous risquiez de le faire. Il y a beaucoup de gens qui le font. Ça soulage la tension.
- Vous l'avez déjà fait ?
- ...
- Non. Pas avec un tel putain d'équilibre. Je ne sais pas où vous l'avez lu, mais ça ne soulage pas la tension.
Silence.
Pourquoi ne me demandez vous pas "pourquoi" ? "Pourquoi" je me suis tailladé le bras ?
- Aimeriez-vous me le dire ?
- Oui.
- Alors dites-le moi.
- DEMANDEZ
MOI
POURQUOI.
Un long silence.
- Pourquoi vous êtes vous tailladé le bras ?
- Parce que ça fait une putain de sensation
Parce que ça fait un putain d'effet.
- Je peux regarder.
- Vous pouvez regarder. Mais ne touchez pas.
- (Regarde) Et d'après vous vous n'êtes pas malade ?
- Non."

"Symptômes : ne mange pas, ne dort pas, ne parle pas, aucune pulsion sexuelle, désespérée, veut mourir.

Diagnostic : Chagrin pathologique.

Sertraline, 50 mg. Insomnie aggravée, forte anxiété, anorexie (perte de poids 17 kg), accentuation des pensées, projets et intentions suicidaires. Suspendu hors hospitalisation."

Suivi d'une merveilleuse liste de médicaments et de leurs effets, le "chapitre se clôt par :

"100 aspirines et une bouteille de Cabernet Sauvignon bulgare, 1986. La patiente s'est réveillée dans une mare de vomi et à dit : "Qui dort avec un chien se réveille avec des puces." Fortes douleurs d'estomac. Pas d'autres réaction."

"Je n'ai aucun désir de mort
aucun suicidé n'en a."

"S'il vous plait ne me dépecez pas pour trouver comment je suis morte
Je vous dirais comment je suis morte

Cent Lofepramine, quatre-cinq Zopiclone, vingt-cinq Temazepam et vingt Melleril"

Et puis, tant pis, j'arrête de vous raconter, sinon il ne restera rien de nouveau pour vous dans ces 35 pages, lisez-le :
http://rlmalvin.angelfire.com/KaneSarah448Psychosis.pdf