La narratrice Lydia, libraire à Acaculpo, voit sa vie voler en éclats lorsqu’un article publié par son mari journaliste déclenche les sanglantes représailles du cartel de la drogue qui vient d’asseoir son emprise sur la ville. Contrainte à une fuite éperdue avec son fils de huit ans, elle se joint aux migrants qui traversent le pays pour tenter de rejoindre les Etats-Unis : un périple aux mille dangers souvent fatals…
Diaboliquement haletant, le récit jette d'emblée et sans répit le lecteur dans un état d'angoisse proche de la paranaoïa. Dans un Mexique décrit comme corrompu et transi par la peur des violences et des meurtres orchestrés par des organisations mafieuses toutes puissantes, il semble impossible d’échapper à des tueurs qui disposent de complicités dans tous les rouages de la société. C’est dans une terrifiante chasse à l’homme que nous entraîne l’auteur, pimentant à l’extrême un road trip déjà immensément périlleux pour les migrants « ordinaires ».
Tremblant ainsi particulièrement pour la vie des deux personnages principaux, nous voici embarqués aux côtés de ceux qui ont tout perdu et qui, en provenance de tout le sud de la péninsule américaine, tentent de gagner el norte. Ce sont spécialement les femmes que le récit nous fait côtoyer, nous les montrant doublement exposées aux violences dans un pays où l’on ne compte plus leurs disparitions. Meurtres, viols, rackets, mais aussi les émouvants coups de pouce de la solidarité, jalonnent un parcours dont les temps forts sont les périlleuses étapes à bord de la bestia, ce train de marchandises pris en marche par les clandestins, et la redoutable traversée à pied du désert du Sonora, en compagnie d’un coyote payé à prix d’or.
La parution d’American Dirt aux Etats-Unis a soulevé une polémique sur la légitimité d’une New Yorkaise blanche à écrire sur la souffrance des migrants. Taxé d’appropriation culturelle, cet ouvrage à gros budget est accusé de faire de l’ombre aux authentiques auteurs latino-américains qui, faute d’armes commerciales aussi puissantes, peinent à faire entendre leur voix et celles des migrants. On lui reproche aussi de convoyer une image partiale et dépréciatrice du Mexique, imaginée depuis le côté le plus confortable du mur. Il est vrai que le roman a fait le choix de ne pas lésiner sur le sensationnel susceptible de renforcer la tension dramatique, amplifiant notamment les épreuves de ses personnages au moyen d’une intrigue, bien menée mais tout à fait improbable, entre Lydia et le chef du cartel. Diablement efficace quant à son suspense addictif, cet aspect de l’histoire semble davantage motivé par l'envie de distraire le lecteur que par une quelconque préoccupation politique ou humanitaire. Quelques « inconvenances » dans la promotion américaine du livre peuvent également renforcer l’impression d’un livre plus commercial qu’engagé. Malgré tout, je ne pense pas ressortir de cette lecture avec une pire image du Mexique qu’après avoir lu le très fiable et terrible 2666 de Roberto Bolaño. Manifestement documenté et bien mené, ce très prenant American Dirt ne peut, à sa manière, que contribuer à sensibiliser un plus large public à l’enfer des migrants latinos qui tentent de rejoindre les Etats-Unis, puis d'y rester. C’est en tout cas le roman le plus haletant que j’aie lu depuis longtemps. Coup de coeur.
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