Une anthologie a forcément pour effet de gommer certaines singularités : on oublie le nom d’un auteur, l’on reconnaît les topoi, les traits communs de telle ou telle école, etc.
Est-ce pour cela que j’ai été particulièrement frappé par la continuité à l’œuvre dans la poésie italienne ? Il y a tout d’abord une unité dans la langue, car même l’italien médiéval est assez lisible – l’ancien français est bien plus différent du français moderne, par exemple. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment étonnant, puisque l’italien littéraire a été élaboré à partir du toscan médiéval. Mais il y a surtout une unité dans le style et les thèmes : des siècles de littérature semblent irrigués par la source inépuisable du pétrarquisme, voire de la poésie de l’amour courtois qui le précède, si bien qu’on a peine à distinguer parfois un sonnet de la cour de Sicile du XIIIe siècle d’une épigramme baroque. Bien sûr, La Divine Comédie occupe une place majeure, et son influence se trouve chez Le Tasse et l’Arioste, mais ce sont surtout le Dante de La Vita nuova, Boccace et Pétrarque qui informent la majeure partie de la tradition poétique italienne. À la fin du XIXe siècle, c’est Rimbaud qui les supplante.
J’ai fait grâce à cette belle anthologie de nombreuses découvertes : des grands noms dont je n’avais presque rien lu, Pétrarque, Le Tasse, L’Arioste, Leopardi, etc., mais aussi des auteurs totalement obscurs, dont j’ai d’ailleurs vite oublié les noms, comme les marinistes, qui subvertissent la tradition pétrarquiste dans d’étranges éloges paradoxaux. On constate aussi que furent poètes certains que l’on connaît pour bien autre chose : on voit par exemple Michel-Ange modeler le vers avec la même énergie que le marbre ; de façon plus surprenante, Machiavel, qu’on pourrait croire être une tête froide, se révèle gracieux et capable d’un lyrisme touchant ; Métastase est bien plus subtil que l’image que je m’en faisais d’auteur de livrets d’opéras compassés, et dépeint très bien la psychologie et les tourments de ses personnages. Parmi les auteurs plus récents, j’ai particulièrement apprécié la douce mélancolie de Pascoli, et plus encore Eugenio Montale qui sait créer des images magnifiques tout en s’interrogeant sur le pouvoir de la poésie.
Dans l’ensemble, l’édition de cette anthologie est de grande qualité. Tout au plus peut-on regretter quelques euphémismes dans les notices biographiques quand il s’agit d’évoquer l’engagement fasciste de certains auteurs : par exemple, d’Ardengo Soffici, qui approuva les lois raciales de 1938, et défendit la république de Salo, il est seulement dit que « dans l’après-guerre, Soffici milite pour le « retour à l’ordre » dans le domaine culturel. »