Mémoires de deux jeunes mariées par Ascyltus

Balzac est un des écrivains les plus inégaux qui soient. Ainsi, dans ces Mémoires, il peut écrire des choses tout à fait ridicules, comme : « L'Abencérage n'a pas sourcillé, la coloration de son sang bleu n'a pas teint sa face olivâtre. », ou « Hier au soir Louise a eu pendant quelques moments le délire ; mais ce fut un délire vraiment élégant, qui prouve que les gens d'esprit ne deviennent pas fous comme les bourgeois ou comme les sots. »

Je craignais un peu, en ouvrant le livre, que cette lourdeur ne vienne en gâcher la lecture. Or Balzac a su s'adapter aux subtilités du roman épistolaire, notamment avec un jeu de reprises et de modulations du vocabulaire d'une réponse à l'autre, ou bien avec des rappels plus lointains, pour montrer l'évolution de la réflexion et de la psychologie des personnages. C'est une vraie réussite, et qui donne une vraie profondeur à ceux-ci, sans qu'il y ait un manichéisme trop prononcé entre les deux protagonistes aux choix de vie différents. de même, il aborde de façon assez subtile et franche, malgré les euphémismes imposés par son siècle, la question de la sexualité dans le cadre de la vie conjugale (ce n'était pas cette fois une surprise, Balzac le fait déjà au début de la Femme de trente ans).

Néanmoins, la morale que tire le romancier du destin de deux jeunes mariées est terrible : la passion n'a pas sa place dans le mariage, qui exige bien des sacrifices de la part de la femme, et un mariage sans enfant est une « monstruosité », comme il l'est dit plusieurs fois. Et on a beau avoir à l'esprit que les mœurs ont changé, on ne peut qu'être étonné, surtout vers la fin du roman, quand Renée, qui est pourtant présentée comme l'épouse modèle, reproche presque à Louise ses deux mariages stériles (en raison d'un excès de passion, semble-t-il), l'accuse d'avoir tué son premier mari, et compare sa passion à celle d'une « courtisane » ! C'est parfois une bien cruelle amie…

Roman, dense, foisonnant, d'une composition admirable, qui fait réfléchir autant qu'il émeut.