On lit bien peu la poésie lyrique écrite entre la période marquée par la Pléiade et les débuts du romantisme. Cette anthologie a donc le mérite de faire découvrir tout un plan presque oublié de la tradition poétique, à un moment où les auteurs doivent composer avec de nombreux héritages poétiques : l’exubérance créatrice de la Pléiade, la poésie mignarde de Ronsard, les clichés du pétrarquisme, et plus tard l’influence du marinisme et la tentation, au XVIIe siècle, d’un retour à la rigueur (et à la monotonie) classique. Cela n’incite pas toujours à l’originalité, mais nos poètes relèvent ce défi avec élégance e espièglerie.
Gisèle Mathieu-Castellani présente ces défis esthétiques dans une préface d’une grande rigueur, qui montre que la poésie de cette époque est traversée par un conflit entre deux esthétiques, la maniériste, qui se joue des troubles, des faux-semblants, et la baroque, qui recherche la force persuasive. Malgré tout, il y a à travers tout le recueil une grande unité, et on a l’impression, à quelques exceptions près, que tous ces sonnets sont bien moins le lieu de l’épanchement des passions qu’un jeu policé où l’on rivalise d’esprit sur des topoi sans cesse repris. Les références mythologiques sont omniprésentes, avec notamment Narcisse, dont l’image s’impose quand la belle se contemple dans un miroir (quand ce n’est pas la figure de Gorgone !), mais qui montre aussi le danger et la stérilité de la beauté qui ne se complairait qu’en elle-même, ignorant les avances de son soupirant. Mais surtout, presque chaque poète évoque Actéon, qui devient la figure de l’amant trop audacieux, et puni cruellement par sa dame. En la figure de Diane, l’aimée est donc célébrée pour sa pureté, mais celle-ci, quand elle reste inflexible, devient une cruauté mortelle…
Une anthologie, notamment lorsqu’elle est consacrée à des auteurs presque oubliés, est forcément inégale et celle-ci montre à mon avis la relative médiocrité de certains poètes mineurs (Siméon-Guillaume de La Roque et Pierre de Marbeuf, très convenus, François Scalion de Virbluneau, et un poète dont j’ai trouvé le nom merveilleux, bien plus évocateur que tous ses poèmes : Marc Papillon de Lasphrise).
Par contre, on peut apprécier les charmes et excès de l’hermétisme de Christophle de Beaujeu ; la façon assez ludique dont Bernier de la Brousse mêle jeux mythologiques savants et érotisme. Beroalde de Verville n’est pas dénué de talent, mais son pétrarquisme reste assez convenu.
Flaminio de Birague lui non plus ne m’a laissé une vive impression ; hormis un poème célébrant le bonheur d’aimer, tous les autres reposent sur le même cliché : la sombre vie de l’amant est comparable à celle des morts aux Enfers. Jacques Davy du Perron sait se montrer éloquent, notamment avec des formes plus courtes, qui font du bien après tant de sonnets ; il n’abuse pas des clichés.
J’ai goûté la simplicité de Philippe Desportes, original et spirituel. Quel dommage qu’il ait fait de la politique, ait critiqué Louis XIII et ait fini roué vif ! Sa « rouerie » poétique, si j’ose dire, méritait un meilleur sort.
Estienne Durand fut une belle surprise, avec un style assez éloquent ; la poésie de Jean Godard repose presque toujours sur la recherche de la pointe ; recherche souvent ratée… Isaac Habert se distingue par son érotisme, Jodelle charme par sa complexité et son inventivité sinueuse et Clovis Hesteau de Nuysement par ses jeux mythologiques savants.
Parmi tous ces poèmes mignards et pétrarquistes, l’âpreté de Jean de Sponde détonne, et montre une vision de l’amour qui se rapproche de sa poésie religieuse. Il s’agit de dévotion dans les deux cas, d’une recherche d’absolu, de constance dans un monde instable et trompeur.
Théophile de Viau m’a laissé une impression mitigée. La présence de certains poèmes dans cette anthologie amoureuse m’a étonné, tant ils parlaient peu d’amour, et j’ai eu parfois pour ce poète l’impression qu’il s’agissait plus d’une anthologie personnelle. On y trouve quelques poèmes géniaux, souvent les plus courts, en avance sur leur temps, mais beaucoup de poèmes très longs dont on ne peut sauver que quelques vers, remarquables.
Enfin, Pontus de Tyard est un auteur difficile, mais très intéressant, pour qui amour s’intègre dans une démarche intellectuelle, tout inspirée de platonisme. Mais l’on peut se demander pourquoi l’anthologie finit avec lui. L’éditrice, curieusement, choisit de présenter les différents poètes dans un ordre alphabétique et non chronologique, si bien qu’elle se conclut avec l’auteur le plus ancien, dont la langue m’a semblé bien plus archaïque que ses successeurs (qui le précèdent, allez comprendre). Dans la notice de certains auteurs, on décrit parfois l’influence d’un autre poète plus ancien traité plus tard dans le recueil.
Cependant cette organisation permet d’encadrer le recueil de deux figures exceptionnelles, avec tout d’abord un poète de génie, complètement original : Agrippa d’Aubigné. Il reprend certes des motifs pétrarquistes, mais son amour n’est que fureur, rage, violence, poisons. Son Hécatombe à Diane est à comprendre au sens littéral : le poète se livre vraiment à sa Dame dans un sacrifice sanglant. Ce n’est pas une simple métaphore que celle du poète écartelé. Loin d’être le prétexte à des poèmes mignards, la passion amoureuse avec lui a des odeurs de sang et de boucherie, et suscite moins la tendresse que l’horreur
C’est une très belle découverte également que celle de Tristan L’Hermite, l’avant-dernier auteur du recueil, qui n’a pas la puissance d’Aubigné, mais sait allier remarquablement élégance et originalité. Il est l’auteur le plus récent, et l’on peut voir comment il s’inspire de ceux qui l’ont précédé tout en faisant entendre une langue bien plus souple et naturelle.
Cette anthologie de la poésie amoureuse ne satisfera peut-être pas les amoureux de l’amour et des grands épanchements, mais elle fera voir aux amoureux de la poésie bien des beautés méconnues.