En seize années, Lilou n’a guère connu la vie en dehors d’un gymnase. Et depuis son entrée au pôle espoir de Toulon à l’âge de onze ans, sa vie s’articule complètement autour de la gymnastique. Aussi quand le médecin lui annonce qu’elle va devoir s’arrêter pendant deux mois, l’adolescente refuse de se plier à cette contrainte. Habituée à la douleur et aux sacrifices, elle n’entend pas mettre en pause sa carrière à quelques mois des Jeux Olympiques de Rio. Mais son corps est-il prêt à la porter jusqu’aux jeux ?
Après la chute est une véritable immersion dans le monde de la gymnastique de haut niveau. On y rencontre une jeune fille en plein chamboulement, la tête pleine de questions sur sa place dans cet univers, mais aussi et surtout sur sa vie en dehors de la gymnastique car, quand on passe plus de trente heures par semaine à s’entraîner, il reste bien peu de place pour le reste. D’autant plus que la gym s’invite dans toutes les sphères de la vie exigeant des sacrifices en terme de santé, relations familiales, amicales ou encore alimentaires.
Marie Leymarie nous fait entrer par la petite porte pour nous montrer l’envers du décor, loin des paillettes et des podiums. Monde impitoyable, le pôle espoir ne laisse aucune chance à celles qui ne sont pas capables de se relever et de retourner à l’entrainement. Cette « deuxième famille » joue sur les faiblesses de ces gamines, les poussant à faire preuve d’une abnégation totale au prix de leur santé, et n’hésitent pas à les abandonner sur le bord du chemin au moindre signe de faiblesse. Véritable cas de manipulation psychologique, j’ai été choqué de ce que personne ne semble y trouver à redire. Les familles sont comme aveuglées par le succès, semblant considérer que c’est le prix à payer pour atteindre un tel niveau. C’est d’autant plus choquant qu’on recommanderait à n’importe qui de fuir toute personne ou situation identique pour mise en danger.
Mais au-delà de la gymnastique, ce sont les questionnements de Lilou et ses relations aux autres qui m’ont plu dans ce roman. Cadette d’une famille dysfonctionnelle, la jeune fille a vite appris à se faire discrète lorsque la naissance d’une troisième fille, porteuse d’autisme, est venu fragilisé le couple parental, et notamment la mère, visage même du dévouement et du sacrifice. Là où l’ainée a préféré prendre la tangente, Lilou s’est complètement investie dans son sport, s’éloignant d’un foyer étouffant, tout en cherchant à plaire et faire plaisir à des parents trop peu disponibles, mais creusant également la distance avec sa meilleure amie et sa sœur ainée en donnant la priorité à une activité de plus en plus prenante.
Forcée au repos, Lilou doit non seulement réapprendre à vivre avec sa famille mais aussi avec elle-même. N’ayant jamais eu le temps de penser à autre chose qu’à la gym, elle va peu à peu s’ouvrir à de nouvelles personnes et ouvrir les yeux sur le monde qui l’entoure. J’ai vraiment aimé cette partie du récit dans lequel on la voit remettre en question toutes ses croyances et convictions, ouvrir les yeux et prendre conscience qu’il y a de la vie au-dehors d’une salle de sport. L’auteure est vraiment parvenue à nous faire ressentir les émotions qui animent son héroïne et la bouleversent. On sent combien le chemin va être long et combien Lilou aura besoin de temps et d’accompagnement pour revenir à la vie.
Après la chute est un roman passionnant qui montre les dérives du sport de haut niveau et les séquelles qui peuvent marquer durablement les athlètes. Mais le récit s’attache aussi à nous montrer la difficulté que représente le handicap d’un enfant pour toute la famille, sans pour autant oublier de nous montrer combien le regard de ces enfants différents et leur perception du monde peuvent amener la lumière dans la compréhension que leurs proches ont du monde extérieur. Magnifique !