Les habitués des bouquinistes connaissent bien cette collection Anticipation chez Fleuve Noir. Au moins visuellement car il faut reconnaître une certaine patte graphique sur les jaquettes. Cinquante ans d’existence, plus de deux-mille titres et de nombreux auteurs cultes s’y sont succédés : Stefan Wul, Dan Dastier, Georges-Jean Arnaud, le couple Lemay et tant d’autres. Une institution pulp francophone, ni plus ni moins.


"Soyez heureux !
On veille sur vous, sur votre nourriture quotidienne, vos loisirs, votre sexualité, votre sommeil, vos états d'âme.
Souriez ! Vous êtes beaux, jeunes, dynamiques. On a tout fait pour ça : ravalé votre pauvre gueule, affiné votre silhouette dégueulasse...
"
Comment ne pas succomber à la tentation de la lecture en cette décennie…


Le début du roman est pourtant prometteur. Rolf vit dans ce que l’on pourrait comprendre comme une cité-archipel bâtie après un conflit qui a dévasté l’ensemble de la civilisation que nous connaissons aujourd’hui. Technologiquement avancée, l’institution qui a la mainmise sur le pouvoir ne se limite pas à un gouvernement autoritaire. Chaque pan de la vie privée est soumis à une dictature par le sourire. Toute forme d’agressivité y est proscrite comme les films de guerre que Rolf se fournit au marché noir, ou l’effusion de sentiments colériques, la tristesse ou la simple envie de s’isoler. Une sorte de 1984 à l’envers, ou de proto-THX1134 où le débordement de gentillesse niaise s’impose à chacun par le matraquage émotionnel.


Sauf que Rolf lui, il a envie de violence, de bagarre, de nature, bref il veut l’aventure. Son monde est peut-être artificiel et stérile, mais on n’en saura pas plus et c’est très vite expédié.


"Souriez !
Souriez !
Souriez!
Et si vous n'aimez pas ça, vous avez toujours la possibilité de vous barrer en forêt. Une vie libre, pimentée, dangereuse...
Si vous y laissez la peau, c'est pas grave. Faut bien mourir de quelque chose, non ?
"
Et malheureusement c’est le souci, c’est trop vite expédié justement.


Le format arrêté de l'édition en environ deux cents pages, aussi bien que l’urgence d’écrire un format aussi court, dit de gare, ne laisse pas le loisir d’apprécier un univers qui aurait vraiment gagné en développement. On sent Yann Menez ne pas être à court d'idées prophétisant par exemple, peut-être malgré lui, l’injonction au bonheur. Préférant l’action rapidement expédiée à son univers, l’auteur passe sur la dictature de la technique, la déconnexion totale d’une entité dite civilisatrice avec la nature et l’esprit d’aventure ainsi que la surveillance généralisée avec une rapidité déconcertante, quitte à être brutalement maladroit.


Ce qui compte au final, c’est la survie et l’évolution de Rolf en milieu hostile, et nous nous retrouvons dans un vague Mad Max du pauvre. Si le personnage de Domi fait positivement sourire en faisant référence à la Lubna de Ran Xerox, le reste est sans substance. L’univers comme les ambiances ne sont qu’accessoires et empêchent de s’identifier à quoi que ce soit, ce qui est handicapant pour de l’anticipation. Les occupants de la forêt sont de la chair à canon, les acteurs de la cité ne sont que deux et se traduisent avant tout par leur rôle d’accélérateur narratif, de pur archétype.
Rolf, sur qui l’attention est centrée ne parvient pas à attirer l’empathie. Aventurier frileux, génocidaire exécrable dix pages plus loin, puis très brutalement révolutionnaire, on ne sait pas comment apprivoiser ce Imin Dada que l’on fait passer pour un chevalier romantique en quelques paragraphes.


Mal écrit, trop vite écrit, les quelques bonnes idées (l’armée des chats, un duel à demi mémorable mais surtout le personnage presque intéressant de Domi) ne font pas d’un roman, même court, même pulp, un bon divertissement.

La_Bete_du_Blizzard
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le 19 oct. 2021

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