Bronson
5.4
Bronson

livre de Arnaud Sagnard ()

"Do not stand at my grave and cry, I'm not here, I did not die" (Prix SC, 3)

Une fois de plus, suite aux critiques extrêmement violentes et unanimes qu'il a reçues, j'avais très peur d'ouvrir Bronson, d'Arnaud Sagnard, roman ou plutôt exofiction (comme l'a très bien défini Tidwald, je vous renvoie à sa critique pour cela) consacré(e) à la vie de l'acteur Charles Bronson, célèbre pour ses rôles de méchant "indien" dans les films des années 50 à 90.


Pourtant, je me dois de rétablir une certaine justice ici : contrairement aux deux précédents romans que j'ai lus (L'Eveil, et Anthracite), dont j'ai trouvé l'écriture souvent agaçante et prétentieuse, j'ai trouvé la plume de Sagnard très sincère, très sobre, et très élégante. Bien que l'oeuvre n'échappe pas au travers de l'étalage de culture (entre les références un peu gratuites à Duras et autres, juste parce que ça fait bien de connaître les anecdotes de la vie des Grands), l'écriture évite avec une grande justesse d'en rajouter - en étant simple, presque blanche, factuelle mais non dénuée de beauté formelle, bref, elle se calque bien sur son propos. J'avoue ne pas comprendre des reproches comme "C'est si mal écrit que ça nuit à la compréhension" : c'est faux, il y a quelques phrases un peu obscures car l'auteur parfois multiplie les anaphores ou les propositions avec peu de ponctuation, mais ça reste très rare, et c'est tout à fait volontaire. On atteint, à mon sens, l'équilibre parfait entre une écriture sèche et une écriture riche ; bien qu'on pénètre les tréfonds de l'existence de Bronson, ou plutôt l'intimité qu'en extrapole Sagnard, il semble toujours y avoir une certaine pudeur, une certaine distance qui rend pourtant compte de l'attachement irrationnel du biographe pour son sujet.


A contrario, il serait malhonnête de ma part de prétendre avoir été captivée par le fond. Je connaissais peu (voire, pas du tout, le nom seul me disait quelque chose) Bronson, et il ne m'intéresse pas tellement plus maintenant que j'ai lu le livre, un peu rapidement parfois. Je pense qu'il faut le lire comme une biographie libre plus que comme un roman, pour y trouver un intérêt : le livre s'adresse à des passionnés d'un certain cinéma, curieux de découvrir la vie et la personnalité de Bronson (et de quelques autres qui gravitent autour de lui, de plus ou moins loin), curieux de découvrir les coulisses d'Hollywood il y a quelques décennies, et de cerner l'imaginaire qui entoure l'acteur. Un novice en revanche s'embourbe dans ces détails fourmillants et complexes - je pense donc que la principale erreur marketing est de vendre comme un roman ce qui est, indubitablement, la nouvelle oeuvre de référence consacrée à Bronson en littérature.


Car il faut saluer le travail remarquable de recherche documentaire de l'auteur, dont il parle lui-même, avec me semble-t-il plus de passion que de vantardise, comme un acharné qui ne sait plus très bien lui-même pourquoi il s'acharne, mais dont l'existence tout entière devient inextricablement mêlée à celle d'un acteur mort que le monde a oublié. Remarquable aussi comment il fait de la figure de Bronson une allégorie, l'allégorie de la mort, et comment il organise son oeuvre autour de cette allégorie, de sorte qu'on la saisit peu à peu au fil de la lecture. La métaphore, filée, est une fois de plus très élégante, à la fois totalement fantasmatique (créée par les lubies de l'écrivain) et crédible (pourquoi pas, après tout ?). Bien qu'on ne puisse qualifier d'objectif un travail de mise en littérature qui passe par le symbole et l'inclusion d'une subjectivité (celle de Sagnard), il n'en reste pas moins important, et c'est même en ceci que réside son intérêt : il est difficilement qualifiable.


Alors oui, difficile de se sentir absolument concerné quand on n'est pas un amateur de Bronson ; et je comprends parfaitement l'irritation d'un lecteur devant la multiplication des références savantes, des intrusions du narrateur-auteur, des digressions biographiques ; c'est précisément pourquoi je ne peux attribuer plus de 6 à ce livre. Mais encore une fois, il est je pense victime d'une erreur marketing qui lui porte préjudice, car, pour peu qu'on ait un peu de temps devant soi (ce qui n'est pas mon cas) et beaucoup de curiosité à revendre, on peut sans doute trouver son compte à la lecture de Bronson.


Je ressors en tout cas de ce livre avec un mélange de lassitude et d'attendrissement : car c'est grâce au travail d'obscurs passionnés que parfois, on ressuscite des oubliés talentueux de l'histoire de la culture ; et c'est, je crois, la raison d'être de la recherche universitaire dans les sciences humaines. Effectivement, ça n'a aucun intérêt pour la plupart des gens, quand on se contente des faits ; mais dans l'histoire des idées, dans la compréhension du monde, dans la causalité des phénomènes (pardon pour les grands mots), le travail de fourmi rend compte de quelque chose de plus grand, il dépasse le simple fait. Heureusement qu'il y a des gens qui effectuent ce travail, ils me font me sentir moins seule dans mes tentatives de résurrection - que ce soit dans mes critiques littéraires ici, ou dans les recherches que j'ai effectuées et que j'effectuerai encore peut-être - d'un passé qui a pourtant tout à nous apprendre sur les mécanismes sociétaux contemporains. C'est peut-être, au fond, ce qui manque à cette exofiction : ne pas assez dépasser le fantasme de la figure cinématographique, ne pas assez fouiller les enjeux sociologiques de l'allégorie mortifère. Sans doute il aurait fallu faire comprendre au lecteur que ce n'est pas seulement Bronson pour Bronson, et c'est dommage qu'on ne saisisse pas davantage, dans le méandre d'anecdotes qui compose le livre, pourquoi il faut se souvenir de Bronson.
(C'est pour cela, sans doute, que j'ai préféré le début à la fin : le début, biographie trop précise pour être absolument fidèle, touche du doigt quelque chose de passionnant, à savoir les origines sociales de Bronson, en tentant d'expliquer le développement psychologique et l'inaccessibilité de celui-ci grâce à ces origines ; malheureusement, la suite gave jusqu'à l'ennui le lecteur qui ne sait que faire du récit linéaire et sinueux de la vie de l'acteur.)

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le 30 sept. 2016

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Eggdoll

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