Souper d'infidèles

Dans cette pochade en un acte, Feydeau recourt, comme dans « L’Affaire Edouard », à un chiasme d’infidélités : deux amis, qui veulent tromper leurs maîtresses respectives en invitant chacun une cocotte dans un « cabinet privé » d’un restaurant parisien, décident de se mettre dans une salle commune, à quatre donc, dans l’espoir que ces deux « parties fines » évoluent en « partie carrée ».

Cet argument est très astucieusement exploité de manière à impliquer chacun des personnages de manière substantielle. Un graphe mathématique pourrait représenter les relations entre les différents personnages : qui est la maîtresse de qui, qui est la cocotte de qui, qui est l’ancienne épouse de qui ; graphe auquel se superposerait, indiquées dans une couleur différente, les relations alléguées mais fictives entre différents personnages.

Car le mensonge et la dissimulation jouent un rôle important dans cette pièce. Plusieurs personnages ont tendance à mentir sur leur propre identité, leur statut ou leurs intentions. Ainsi, le titre de la pièce vient du fait que chacun des deux coquins qui invitent des dames à souper prétendent que leur amie est « une femme du monde », alors que leur comportement plutôt poissard tend à prouver le contraire. Belle scène, très drôle, où les effets de langage présentent un choc des contraires amusant entre la prétention des deux dames à s’exprimer « comme dans la haute », et le langage populaire dans lequel elles retombent avec promptitude (scène X).

Comme chez Labiche, les moments de tension qui menaceraient de tourner au drame sont très rapidement désamorcés, et, évidemment, l’action se termine dans la joie et la bonne humeur.

Feydeau sait ménager le suspense en retardant, sous divers prétextes, la confrontation effective de partenaires qui ne devraient pas se rencontrer, sous peine qu’il y ait un sérieux problème... L’accumulation de mensonges et d’écarts de conduite des uns et des autres conduit à retrouver, en miniature (car la pièce est brève), un exemplaire sans prétention de la mécanique théâtrale dans laquelle Feydeau est passé maître.