Le carambole est un jeu. On s'y adonne entre vieux amis, pour passer le temps.
Le deuxième roman de Jens Steiner est également fondé sur le jeu, le divertissement, une progression tactique sans tournants ni logique. Et une attente de quelque chose qui ne survient pas. On pense presque à Godot.
Les moins :
_ Ça sent la philo à plein nez
_ Ça manque de liant, au sens où les différents "moments" de la narration semblent se superposer de façon abrupte. Les descriptions et dialogues sont souvent trop courts pour être convaincants; ils semblent décoratifs - ou alors ils sont très significatifs mais de manière trop patente. On passe un peu du coq à l'âne.
_ La critique sociale pourrait être plus fine (moins d'evidences par exemple)
_ La traduction française est juste passable
Les plus :
_ C'est intéressant (divertissant, pertinent, parfois profond)
_ C'est drôle (oui, il y a de l'humour, plusieurs types d'humours: grinçant, bon enfant, bouffon, etc.), et triste à la fois
_ C'est pas mal ficelé. La polyphonie est maîtrisée. Une certaine audace formelle et un gros travail sur la composition - qui ne se sent pas.
_ Une langue personnelle
_ Des intuitions (beaucoup)
Roman existentiel dont la scène est un petit village, Carambole est une lecture qui intrigue, divertit, fait réfléchir. Elle est ponctuée par de beaux moments. Elle connaît son histoire littéraire par coeur (littérature de l'attente, sans "événement" ni intrigue - c'est là l'enjeu fondamental du bouquin; éclatement des points de vue), et est marquée par un réel souci de la forme. Elle ne convainc pas toujours, le style est aride, la démonstration souvent trop apparente. Mais elle est d'une justesse mordante, presque cruelle; et comme dans toutes les bonnes pièces de théâtre, chacun s'y retrouve un peu. Jens Steiner, comme Faulkner, a bien compris le potentiel dramatique et tragique des petites communautés fermées : il en a joué.