Les éditions de L’Archipel ont été bien inspirées de rééditer ce roman-fleuve captivant qui semblait sur le point de sombrer dans l’oubli ! Cécil Saint-Laurent, qui n’est que le pseudonyme de l’écrivain Jacques Laurent, ancien maurrassien et figure bien connue du mouvement des hussards, nous transporte de la Révolution française au Consulat, suivant les pas de la jeune Caroline, aventurière malgré elle, ballottée à travers mille dangers par des événements tumultueux auxquels elle n’entend pas grand chose et qui la mènent des salons parisiens à l’exil en mer, de la prison aux maquis de la chouannerie. « Eh bien ! C’est trop bête ! On n’a pas idée d’une époque pareille ! » s’écrie-t-elle avec une candeur désarmante entre deux périples mortels. Personnage à la fois attachant et irritant par sa naïveté, elle oscille sans cesse entre les passions les plus nobles (son grand amour pour le chevalier de Salanches) et des considérations triviales, souvent mesquines, révélant une ignorance complète des enjeux politiques et une repli égoïste qui pourraient prêter le flanc à une lecture franchement misogyne. Caroline, malgré son courage, est présentée comme un petit animal charmant, plus préoccupée de ses plaisirs que de l’avenir de la France, prête à servir tous les camps tant que cela peut la rapprocher de son amant, et finissant immanquablement, deux ou trois fois par chapitre, par s’endormir du sommeil de l’innocente.
Le roman ne manque pas non plus d’un certain érotisme, que ce soit à travers les expériences lesbiennes de la jeune fille, ses diverses coucheries de circonstance (toujours pour obtenir quelque chose) ou, plus sulfureux, sa fascination ambiguë pour le viol : ainsi lit-on qu’une mésaventure avec un cocher qui avait abusé d’elle « lui avait apporté l’humiliante jouissance d’être violée, et ce que cet accident avait de mortifiant était corrigé et racheté par l’implacable châtiment de son offenseur », lequel sera arrêté sur l’ordre de son mari (un député girondin) et exécuté.
L’auteur est très habile pour mêler le récit fictif de son héroïne à la grande histoire, à laquelle elle participe modestement (elle devient par exemple agent secret pour le compte des émigrés et participe au débarquement de Quiberon avec les Anglais), rencontrant des personnages aussi illustres que Bonaparte, Fouché, Barbaroux, Cadoudal ou Chateaubriand. Sur un mode haletant, à la fois facile d’accès et élégant dans la forme, ces deux tomes se dévorent plus qu’ils ne se lisent !