« Se souvenir c’est mourir »
L’écriture sublime de Tahar Ben Jelloun donne à ce récit difficile tiré d’un témoignage, toute sa force et toute son ampleur.


Tahar Ben Jelloun est une sommité de la littérature francophone, récompensé par le prix Goncourt pour La nuit sacrée, il est aussi philosophe, psychiatre, peintre et poète. Il a écrit plusieurs ouvrages consacrés à un Islam éclairé, il est également l’auteur du Racisme expliqué à ma fille. Tahar Ben Jelloun est une belle âme, un homme admirable, un sage et un érudit.


Ce roman est inspiré du témoignage d’un ancien détenu du bagne de Tazmamart au Maroc. Ce titre oxymore donne un aperçu du style de Tahar Ben Jelloun, mais aussi du choc qui marquera le lecteur à jamais.


Les faits se déroulent dans les années 1970 au Maroc où le roi Hassan II règne depuis une dizaine d’années. Le 10 juillet 1971, l’armée organise un coup d’Etat auquel le narrateur participe. C’est un échec cinglant. Cinquante-huit soldats sont ainsi transportés au bagne de Tazmamart. L’enfermement durera dix-huit années qui en paraitront mille.


Au bagne de Tazmamart les traitres sont enfermés dans l’obscurité la plus totale. Le narrateur se trouve dans le bâtiment B où vingt-trois autres détenus purgent leur combat ; dans le sol un trou est creusé pour faire les besoins, dans le mur une grille laisse passer un peu d’air. Dès les premiers jours, Hamid meurt, très vite son esprit est devenu fou, son corps l’a délaissé. Les funérailles sont l’occasion de voir un peu de lumière : « et la mort se transforma en un superbe rayon de soleil ».


Pour les soldats qui gardent les lieux, la mort d’Hamid est un échec, ces traitres au roi doivent mourir le plus lentement possible. Mais pour les détenus, la mort serait une délivrance. Si certains parviennent à se pendre, d’autres meurent de haine. Chaque mort est l’occasion pour les détenus de sortir de leurs cellules, pour la nettoyer.


Etre dans le noir c’est perdre toute notion du temps, de son corps, de ses pensées. C’est lutter chaque jour contre la folie. Le narrateur se plonge ainsi dans ses souvenirs et trouve refuge dans la spiritualité, il se raconte jour après jour les passages qu’il a pu conserver de ses lectures passées. Cette homme sera brisé mais survivra.


Ce récit poignant et particulièrement difficile est adoucit par l’écriture fluide et poétique de Tahar Ben Jelloun dont le lecteur pourra tirer quelques maximes de vie. Celui-ci ne doit pas s’attendre à un récit morbide des conditions de vie du bagne, Tahar Ben Jelloun est plus respectueux et plus subtile, c’est un récit de la dignité qu’il livre ici.


Les bagnes ont été interdits au Maroc - sous la pression internationale - au début des années 1990. Si le régime d’Hassan II s’est alors quelque peu libéralisé, le bagne de Tazmamart aura été symbolique de la répression de fer que le roi a mené contre ses ennemis politiques.

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le 2 mars 2018

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