Cher Charb, cher Stéphane Charbonnier,
À l’heure où j’écris ses lignes, ça fait un peu plus de 2 mois que la mort t’es tombée dessus, qu’un crime horrible a été commis, et que la barbarie vous a emporté, toi, et 16 autres personnes. Mais aujourd’hui, cette lettre, je ne l’écris pas pour revenir sur ses actes.
Aujourd’hui, je remarque que tu manques, et qu’il y a un vide.Amateur de Charlie Hebdo, on sent qu’il y a un creux, un humour décalé, dépassant les limites, qui n’arrive plus à sortir, un réel blocage. Le reste de l’équipe tente de faire perdurer le journal, et je leur en suit reconnaissant, mais ça ne marche plus très bien, la machine se remet difficilement en route, et s’avère moins convaincante.
Charb, pour t’avoir rencontré, t’étais quelqu’un d’extrêmement sympathique et jovial. Non, tu n’étais pas un homme irrespectueux ayant pour seul objectif de blesser, de vexer ou d’attiser la haine. T’étais un caricaturiste, et tu adorais ça, tu aimais taper là où ça faisait mal. Il n’y avait pas d’intolérance dans tes propos, juste de l’humour. Tu attaquais les juifs, les musulmans, ceux de droite, ceux de gauche, les cathos, les extrémistes, les cons, les moches, les petits, les gros, les athées, les pauvres, les riches. Pas un seul qui ne s’est pas fait tailler un costard sur mesure par toi.
Aujourd’hui, je garde de toi une caricature, dans mon carnet, ranger soigneusement dans mon bureau. « Zoran au pouvoir ! », que tu m’écrivais, et quand je lis ça, ça me fait drôle, j’ai comme une boule, au fond de moi, et je me console en disant que tout cela, c’est pour du faux.
C’est triste. C’est triste de voir que des gens dont on aime le travail disparaissent subitement, sous les balles, sans que personne ne puisse dire quoi que ce soit.
Plus de deux mois après, j’ai toujours les boules, et quand je vois des organisations comme DAECH qui continuent les massacres, j’ai envie de partir dans une grotte, et de fermer les yeux sur ce qui m’entoure.
J’ai 18 ans, j’ai conscience qu’il me reste beaucoup à vivre, et j’ai peur de mon futur. Que sera notre pays dans 10 ans ? Que sera notre monde dans 20 ans ? Quelles limites la connerie humaine aura-t-elle encore dépassé dans 30 ans ?
Quand je vois, chaque jour, à la télé, car oui, j’ai encore la naïveté de regarder la télé, que des otages sont tués ou des reliques détruites, ça me fout la gerbe. Je suis là, comme un con, à pas comprendre, et à me demander si je suis pas dans un film. J’voudrais bien être dans un film justement, ma passion étant le cinéma.
Le futur m’effraie. Oui, c’est vrai, c’est bête à dire, mais ça me fout les boules.
Tu dois bien ta marrer là haut, en voyant que plus de 4 millions de personnes ont défilé pour toi, qu’on pleure pour toi, alors que toi, tu me l’avais dit, ce qu’il faut, c’est « continuer de rire, partout, tout le temps ».
Je t’adresse cette lettre, ce message. Je ne sais pas pourquoi je l’écris, mais ça me fait du bien.
Le Petit Prince t’aurait demandé de dessiner un mouton, moi j’aimerai que tu me dessines une bite.
« C’est dur d’être aimé par des cons. », mais c’est encore plus dur de les tolérer. Mais c’est drôle, les cons, tu les emmerdais pas, tu ne leur faisait pas un gros doigt, contrairement à ce que tout le monde pouvait penser. Au contraire, tu étais le premier à vouloir entamer le dialogue, et à susciter le débat.
« Ça fait sûrement un peu pompeux, mais je préfère mourir debout que vivre à genoux. », ou comment exprimer de la plus belle manière son amour pour son métier.
Non. Aujourd’hui, je ne dirai pas « Je suis Charlie », mais juste que je suis un jeune étudiant attristé.