Les voix autorisées de la critique littéraire semblaient (pour une part substantielle d'entre elles) catégoriques : Régis Jauffret parvenait par ce Claustria à s'emparer du fait divers pour le dépasser, dans un exercice littéraire de haute tenue (Jauffret insiste sur ce point, pas toujours évident à la lecture : il s'agit d'une œuvre de fiction). Il réussissait la prouesse de céder aux sirènes du voyeurisme sordide sans pour autant y succomber totalement, offrant au lecteur une mise en abyme (c'est le cas de le dire) pour le moins étouffante.
Bref, un diagnostic plutôt engageant qui, adossé à une envie déjà ancienne de me frotter à l'œuvre de cet auteur (depuis un lointain trajet Yvetot-Paris à bord d'un wagon fumeur au cours duquel mon ami le Moujik m'avait lu un extrait de Univers Univers), ne m'a pas fait hésiter très longtemps avant d'entamer joyeusement cette plongée dans l'obscène. Il serait vain de le nier : ce qui rend également l'ouvrage attractif, c'est la fascination qu'exerce sur le commun des mortels ce fait divers mortel qui n'a rien de commun.
Le rendu est indéniablement de qualité, la sensation de claustration bien réelle. Le vertige et le dégoût qui s'emparent du lecteur à mesure que s'intensifie le délire du « peuple de la cave » est la preuve que l'auteur touche à son but. La construction en est intelligente, et la succession de perspectives différentes, dans la première partie du livre, rend la narration captivante.
Mais... un élément sur laquelle ma subjectivité ne parvient pas à mettre un nom me laisse un goût aigre-doux, une impression mitigée qui m'empêchera de porter aux nues ce que certains thuriféraires n'ont pas hésité à qualifier de « choc romanesque et tour de force d'une puissance inouïe ».
Serait-ce ce flirt permanent de la fiction avec l'authentique ? Serait-ce cette curieuse mise en scène de l'auteur par lui-même, comme pour légitimer un minutieux travail d'enquête conduit avant l'écriture ? Ou bien serait-ce la longueur excessive de la deuxième partie du roman, qui conte par le menu l'atmosphère pestilentielle qu'a respiré 24 années durant les résidents du monde souterrain ?