Claustria, récit d'un épouvantement
Régis Jauffret choisit de retracer le long calvaire d'Angelika Fritzl, séquestrée par son père à l'âge de dix-huit ans, enfermée dans la cave familiale pendant vingt-quatre ans et rendue folle à force de solitude et de mauvaise traitements. Ce fait divers au-delà du terrifiant, l'auteur l'enserre d'abord dans les rets d'une enquête minutieuse sur les lieux (Amstetten, paisible petite ville d'Autriche), puis il descend brutalement dans la cave aux côtés des prisonniers pour en ressortir 500 pages plus tard. On lit tout le livre en apnée, à la fois terrifié par l'inlassable brutalité du bourreau et éberlué que la vie s'y soit maintenue quand même, que cinq enfants aient pu y naître et y survivre pour trois d'entre eux avec leur mère. Quand on est enfin "délivré", on cherche l'air, on dort la lumière allumée.
Il faut un incontestable talent pour parvenir à restituer à partir des matériaux rassemblés pour l’enquête (dépositions, photos, plans de la maison, visite clandestine de la maison et des souterrains…) quelque chose de l'atmosphère où survit le petit peuple de la cave, montrer comment le dérèglement systématique s'érige progressivement en règle, comment une rationalité tronquée se substitue à la raison, comment enfin l'humanité se mue en sub-humanité pour assurer les conditions de sa survie. Et l'auteur en appuyant le moins possible sur les détails sordides, de nous raconter la faim, le confinement, les hallucinations engendrées par les privations, par les coups, par les grotesques lubies du tyran. En alternant le point de vue du bourreau avec celui de ses victimes, il raconte inlassablement la vie à quatre pattes et la maison sourde aux cris des prisonniers. Il ne plaint pas, il ne juge pas, il s’efforce seulement de penser l’impensable
Que cherche-t-il donc dans l'exploration impitoyable de ce sinistre fait divers ? Et nous qui le lisons, qu'y cherchons-nous ? Venons-nous satisfaire quelque inavouable pulsion, expulser une peur secrète, peut-être communier, comme on dit que le font les Chrétiens devant la Passion, dans la souffrance des victimes ? Est-ce qu'on fait trembler Margot comme on la fait pleurer ? Quel mystérieux soulagement allons-nous puiser dans les abysses de l'humanité ? Vastes questions auxquelles se garde de répondre "Claustria", roman dont la lecture nous rappelle les liens étroits que la littérature entretient depuis toujours avec la violence et le crime.