Alexandre Lacroix a fait de la vulgarisation des grands sujets philosophiques sa principale manne de production, en tant qu'essayiste et en tant que directeur de Philosophie magazine. Il apprécie d'ailleurs particulièrement les sujets qui touchent les questions de philosophie morale, "existentielle" ou sociale (voir ses autres bouquins), le rapprochant de la tradition anglo-saxonne et l'éloignant des préoccupations métaphysiques. Dans un mélange des genres qu'il maîtrise particulièrement bien, il mêle également son goût pour la narration et la mise en scène romanesque à son approche de la réflexion plus purement philosophique. C'est ce qui fait que cet opus est particulièrement rafraîchissant et extrêmement facile à lire.
Pour tout dire, c'est le premier livre de Lacroix que je lisais, et il ne m'a pas duré beaucoup plus qu'une après-midi. Sa manière de tourner les choses - de vulgariser - en surprendra peut-être plus d'un, qui y verront, à juste titre, une simplification intellectuelle. A mon sens, s'il fait dans la simplicité, il ne franchit jamais la ligne rouge du simplisme. Au contraire : on lit, on se pose des questions, et si l'on veut, on essaie d'en savoir plus (et mieux) ensuite. Pour ce qui est du scepticisme (puisque c'est ce dont il est question dans cet ouvrage), autant le concept a très bien intégré le langage courant, autant la bibliographie proprement philosophique n'est pas abondamment fournie. On connaît les grands sceptiques (de Diogène à Descartes, en passant par Montaigne), mais il n'est pas si facile de trouver un ouvrage de synthèse qui en propose un parcours abordable et complet. Si Alexandre Lacroix n'explore pas assez profondément les différents concepts-clés de la question (on reste un peu sur sa faim), il a l'immense mérite d'en soulever un grand nombre de problèmes importants, d'orienter son lecteur dans le champ réflexif, et surtout de rendre intéressantes et accessibles les différentes questions morales qui se situent au fondement de ce mouvement de pensée : quelle place occupe le doute face à la religion, la morale ou la science ? Comment faire des choix à partir du moment où tout se vaut ? Comment être heureux dans un monde structuré par tant de croyances ? C'est ce que l'on comprend dès le titre : l'effrayante et apparente radicalité de la question ("comment vivre", "croire en rien") maquille et dynamise la question philosophique plus simple de la morale sceptique.
Ce livre se lit donc comme un long exercice de pensée, nourri par l'exposition de cas concret à la manière de la philosophie analytique, rendu fluide par la plume légère de l'auteur, et émaillé de concepts qui orientent le lecteur en quête d'informations et de repères précis sur le sujet. C'est on ne peut plus remarquable et plaisant.