Je ne sais plus qui a dit qu'un poète écrivait toujours le même vers. Pourquoi ? Parce qu'il n'avait qu'une chose à dire et qu'il ne faisait qu'essayer de la dire sans jamais y parvenir tout à fait. Et que cette chose, au fond, était inexprimable par les mots, ce pourquoi elle constituait l'horizon inatteignable de chaque poème qui tentait de la saisir. Et le fait que le cinéma utilise autre chose que des mots ne change rien : Wes Anderson est un poète. Un poète qui, ici, pousse jusqu'au bout la recherche de pureté de son art, et l'âpreté de son langage. Il en résulte un film difficile, peut-être inaccessible, mais tout à fait essentiel dans son oeuvre. Peut-être l'essence même de son oeuvre.
Je ressors systématiquement des films de Wes Anderson comme je sortirais de l'emprise d'un charme magique. Sans trop savoir ce qui vient de m'arriver, un peu bousculé par la complexité du phénomène, mais terriblement heureux et léger. À partir de là, vous comprendrez que je ne puisse qu'admirer un artiste qui provoque en moi un sentiment d'une telle nature. Comment une telle émotion peut-elle émaner d'un film aussi froid, rigide, plastique, superficiel, nonchalant, apathique et presque hostile ? Tous les personnages sont soit fous, soit au bord de la dépression, leur visage est de marbre, les enfants parlent et pensent comme des adultes (des psychopathes), les adultes comme des mannequins, le décor est en papier mâché, on est sans cesse interrompu par des épisodes métas qui me feraient hurler dans n'importe quel autre film, certains plans sont téléphonés, d'autres répétitifs. Épuisant ! Toutes les techniques et les manies de Wes Anderson poussées à leur paroxysme. Voudrait-il faite fuir son spectateur ? Parfois, honnêtement, on se le demande. En est-il arrivé à ce stade de sa carrière où, sa réputation parfaitement établie, ses producteurs définitivement rassurés, il ne se permette plus aucune complaisance avec son public et poursuive sans ménagement (et avec l'aide de pléthore d'acteurs connus et reconnus pour leur talent) son rêve fou de film parfait ? Je le crois très fort !
Plus que jamais, la métaphore théâtrale est exhibée. Le désert est une scène, les baraques des décors, les trains des maquettes, la lumière des projecteurs. Plus que jamais la symétrie est respectée dans le moindre plan, le moindre mouvement (sauf celui des sourcils de Augie Steenbeck, le personnage principal, comme un perpétuel point d'interrogation, et la cigarette de l'actrice). Plus que jamais les couleurs sont artificielles, plus que jamais le jeu des acteurs est hiératique... Épuisant de perfection formelle, je vous dis !
Mais on ne se réveille pas si l'on ne s'est pas endormi. Qu'est-ce-que que cela peut-il bien vouloir dire ? Métaphores de l'éveil spirituel, de la résurrection, de la sortie du deuil et de la dépression. Tout ne serait que métaphore ? L'alien ? Il faut que je revoie ce film pour tenter de comprendre. En attendant je savoure cette incroyable impression de bien-être moral. Étonnamment, ce film me donne espoir. En quoi et pourquoi ? J'ai du mal à le dire. Peut-être parce que, derrière le défilé d'apparences (poker face, costumes, décors, scènes, lumières, poses, photographies...), il fait tomber les masques et projette à nu des sentiments beaux et difficiles. L'absurdité de l'existence, l'amour adulte, l'amour enfant, le deuil et la souffrance. Et faisant tomber les masques, il prouve qu'une vraie sincérité est possible dans un monde de carton pâte, absurde et fou. Une vraie joie, profonde et inévidente se dégage de ces tableaux en mouvement, de ce grand manège surréaliste où le rêve côtoie la folie. Merci à Wes Anderson, merci au poète !