Sans grande surprise, au vu des éloges qui en ont accompagné la diffusion, cette première saison aura conquis mon cœur sensible aux histoires d’enfant qui souffrent (et qui souffrent si bien), et mon esprit pourtant normalement allergique aux danses morbides des zombies. Je ne sais pas pourquoi, comme les vampires ou les loups-garous, je suis toujours resté assez insensible à cette mythologie que la culture pop a allègrement modernisé ces derniers temps. Qu’ils soient apathiques et dégoulinants, ou furieux et terrifiants, les zombies, il faut le dire, m’ennuient ! Je trouve la plupart des réalisations cinématographiques qui les mettent en scène assez fades et convenues, ceci expliquant peut-être cela. Quel ne fut donc pas mon bonheur quand je compris que dans cette série, de zombies, précisément, il n’y en aurait pas ! Ou quasiment pas. Cette parcimonie ne fait du coup que donner plus de relief et d’intensité aux scènes dans lesquels ils interviennent, et mon dieu quelle intensité ! Une vraie terreur, une vraie panique, un vrai dégoût devant ce baiser de la mort plein d'immondes champignons connectés. Le maître de Chernobyl nous rappelle quasiment à chaque instant, que cela explose ou que cela ralentisse, sa maîtrise parfaite de la tension dramatique. C’est d’ailleurs peut-être cette dimension qui fait toute la puissance de cette œuvre : la combinaison parfaite entre un rythme lent qui facilite l’immersion, et une tension dense et permanente qui accentue chaque geste, chaque mot, chaque émotion. Quelques ruptures de rythme, peut-être, sont à regretter. En tout cas, dans un système narratif qui multiplie les jeux temporels, les ellipses et les flash-back, plus d'une fois mon appétit a été fâché. Sûrement l'a-t-il été à la hauteur du plaisir que j'avais à suivre les fils narratifs ainsi interrompus : quelle terrible idée, de placer l'histoire d'Ellie et de son amie d'orphelinat au moment même où Joel est au seuil de la mort ! Quelle frustration de stopper l'action juste après l'assassinat de Sarah, la fille de Joel, par un garde, dans le premier épisode ! Le réalisateur tranche au couteau dès le début, et ce n'est pas toujours sans dégât.
Pourtant, on ne redira sans doute jamais assez combien l’ouverture est réussie. Une fois réglé le problème théorique de la pandémie – quelle audace des scénaristes, l’explication scientifique de ce qui va se produire, qui occupe parfois laborieusement la moitié d’un film, est expédiée en quelques minutes, et on en reparlera plus ! –, une fois ce problème réglé donc, on prend une énorme claque, peut-être pas esthétique (cela viendra), mais dramatique. Le récit est servi à la perfection pour que tout soit touchant, convaincant, troublant et déchirant. Dans cette série, on n’en dit jamais trop (à l’image d’un Joel ô combien taciturne), on n’en fait pas des caisses. La plupart des scènes d’action ne sont que suggérées, et tout réside dans la tension, le suspens narratif. Dans les moments où le réalisateur nous fait un peu oublier les personnages, il n’y aura donc plus qu’à ouvrir la caméra sur d’immenses étendues urbaines reconquises par la nature, ou sur des landes enneigées pour que l’émerveillement se produise. La beauté des paysages est indéniable et absolument réaliste, et comme dans tous les films post-apocalyptiques réussis (je n’ai pu m’empêcher de penser à Anna), on ressent une délicieuse jubilation à contempler le spectacle de notre monde contemporain laissé à l’abandon des carcasses de voiture, des fleurs et des animaux sauvages (non mais sérieusement, des girafes !). Cette série, que l’on aurait pu imaginer gore et explosive, devient, en un beau tour de force, une œuvre subtile et contemplative.
S’il y a peu de zombies, donc, il y a aussi peu de personnages. Les quelques scènes collectives (en ZQ ou dans le petit paradis de l’oncle Tommy) laissent souvent place à l’odyssée solitaire des deux principaux protagonistes, ou à des échanges privilégiés avec tel ou tel personnage (Tess, Marlene...). Ce qui fait de cette œuvre, en plus d’être assez méditative, une œuvre intime ! J’ai eu du mal, au début avec Joe la castagne. Un anti-héros brut de décoffrage, mutique et sombre, qui se tait quand il a mal… et qui se tait donc tout le temps ! Un beau cliché, finalement, ce dark hero dont on savait dès le début que sa noirceur n’avait d’autre origine que la lumière d’un amour éteint, enfoui bien au fond à l’intérieur. Une carapace dure sur une âme tendre, encore. Et cela n’a pas manqué de se réaliser. Face aux assauts insolents de la jeune (et si talentueuse !) Ellie, aussi insupportable qu’admirable, le petit cœur de Joel s’est fendu : enfin l’antipathique redevenait fréquentable, et la tension affective évidente se dénouait.
Jusqu’à ce que. Jusqu’à ce que, dans le dernier épisode, les scénaristes décident de saboter en 10 minutes la totalité des événements d’une saison entière. En 10 minutes, tous les efforts, apparemment surhumains, de deux êtres d’exception réduits à néant par la folie d’un homme expulsé du sens commun et de la réalité par la perspective de la mort d’Ellie. Enfin, son martyr pour l'humanité. Je vous l'ai dit : cette série n'a rien à voir avec un film de zombies ! Dans un plan-séquence mémorable, la rage froide de Joel fait en effet basculer la série dans le jamais-vu : qui pouvait s’attendre à un tel dénouement ? Après avoir réussi à braver tous les dangers, à deux doigts de sauver le monde (le monde !), Joel tue froidement vingt personnes dont un innocent médecin dans le seul but de satisfaire quoi ? Une pure névrose : la substitution de sa défunte fille par Ellie, qui aura eu le grand malheur, sans le savoir, de lui promettre un bonheur qu’il pensait à jamais perdu. Ce qui est encore plus fort, derrière cet époustouflant retournement de situation, c’est que The Last of us dessine le parfait envers de la plupart des films catastrophes hollywoodiens, où le cadre familial constitue justement le dernier bastion à défendre et l’unique motif de l’héroïsme des pères ordinaires. Ici, c’est ce même motif qui va détruire les exploits et les espoirs, en mentant droit dans les yeux à celle qui lui a sauvé la vie à de multiples reprises, dans une faute qu’il sait inexcusable. Pardon de cette conclusion, mais je suis obligé d’avouer que, pour moi, cette fin de saison est l’une des plus couillues à laquelle j’aie eu l’occasion d’assister. Elle finit d’assurer un immense intérêt et une vraie originalité à une fiction qui, pourtant, avait tout pour être banale.