En 1969, un jeune critique nommé Stanley Booth n'a qu'un rêve "devenir écrivain ou mourir en essayant."

Il arrive donc dans la cité des Anges, là, où, au cours de leur célèbre tournée américaine, les sulfureux Rolling Stones prennent une pause.

Le voilà donc en pleine discussion avec Charlie Watts et son épouse de toujours, Shirley.

Après une discussion tragi comique où Shirley lui reproche d'avoir écrit dans un article qu'elle "faisait la vaisselle," la porte de derrière s'ouvre et "laisse apparaître toute une bande. Grands, minces, les cheveux longs, ils sont restés un instant au centre de la pièce comme s'ils prenaient la pause pour une vieille photo sépia, le genre qui finissait autrefois sur les posters collés aux arbres."

Ils sont là, les redoutables Rolling Stones, ou du moins les deux qui restent : Mick Jagger et Keith Richards, les glimmer twins, auréolés de toute leur légende sulfureuse...et à l'époque réelle. A leurs côtés, Mick Taylor et Gram Parson, qui mourra d'une overdose quelques années plus tard et sera une des plus célèbres "victime des Stones."

Il est devant eux, Stan Booth, il sent le danger qui les environne. Et il sent aussi leur sincérité.

Car sur cette tournée, une chose est sure : leur sincérité est là, vibrante, poisseuse, elle colle aux doigts et elle est aussi effrayante à l'image de ce passage où Booth assiste à l'enregistrement de "Midnight Rambler avec Keith à la console huit pistes et Mick au milieu de la pièce tenant un joint "de la taille de la bite d'un basketteur noir."

Et il a peur, Stan Booth. Peur du redoutable Allen Klein, peur des Stones qui peuvent se permettre de lui refuser quelque chose sans dommage, (les dommages, ils les découvriront plus tard. Ils seront considérables et irréversibles) et peur d'abord de ce "midnight rambler de "l'harmonica de Jagger et la guitare de Keith, gémissant, fléchissant, plongeant ensemble, prêts à sauter le mur du jardin."

Malgré cette peur le ramenant à l'enfance et à ces bois voisins de sa maison où il imaginait des monstres et des sorcières, (écoutez "midnight rambler", même actuellement, cette impression de peur primale n'a en rien faibli,) Booth le sait "Ce qui m'effrayait le plus, c'est que quel soit ce qu'ils comptaient faire, je devais être mis dans le coup aussi."

Booth sautera le mur du jardin et suivra ces démons jusqu'à leurs ténèbres ultimes : Altamont.

Derrière tout ce récit, plane l'ombre du mort : Brian Jones.

"Je suis resté calme et tranquille, dans ma terreur, palpant la folie des Stones, de Keith le fou, gardant en tête que ce que les Stones avaient déjà fait avait tué l'un des leurs."

Quel choix nous reste il, à nous lecteur,s arrivés là ? Fuir ou sauter le mur du jardin ?

Nous sautons le mur du jardin et nous suivons Booth et les Stones dans leur périple américain.

Première surprise : les Stones à cette époque, sont loins d'être les débauchés que nous a vendu la presse. Consommateurs de groupies qui sont tout autant consommatrices, (la scène où une fille déclare avoir du beurre avec elle pour le mettre sur le corps de Mick et le lécher entièrement, déclarant à sa copine "tu peux avoir Mick Taylor, je ne suis pas difficile, mais il me faut un Stone vite, je dois récupérer mon fils à 16 heures 30 vaut son pesant de marijuana,) gros consommateurs d'herbe, certes, mais tout ceci reste assez ludique et festif, à des années lumière des années 70 et de la plongée mortelle dans le tunnel de la dope.

Une forme de légèreté plane sur ces pages : l'humour de Charlie Watts, très british, même s'il n'est pas malaisé de deviner que parfois, les "glimmer twins" le rendent fou ("ce sont les personnes les plus mal élevées du monde" dit il un soir), la tendance de Bill Wyman a se taper tout ce qui bouge, (c'était lui, bien plus que Jagger le prédateur à l'époque) et la relation au delà de la fusion de Jagger et Richards.

Il serait impropre de parler de "relation fusionnelle" tant le sentiment qu'ils ne sont qu'une seule et même personne est prégnant. A cette époque, ils ne se quittent quasiment pas risquant même le lynchage en Alabama.
"Keith était avachi contre la cloture dans une vieille veste tsigane de Hongrie, (qui resterait aussi à Altamont) et juste histoire de bien commencer les choses en Alabama, Mick s'est approché de Keith sous les yeux de ploucs aux aguets et l'a embrassé délicatement sur la joue."

Nous le savons tous : ce genre de relations symbiotique finit toujours mal. Mais il est difficile de s'empêcher de soupirer et de lâcher un mélancolique : "tout ça pour ça ?"

Il n'est pas absurde de penser que tout s'est fini à Altamont. La fusion Jagger Richards, ce monstre à deux têtes, mais aussi leur sincérité. Car oui, ils étaient sincères, ils pensaient réellement qu'ils avaient le pouvoir de changer le monde, ils croyaient au rêve hippie de fraternité et très loin de son portrait classique de rapace avide de sexe et de pognon, Jagger était peut être celui qui le pensait le plus.

"Le gardien ferme le portail au nez des centaines de personnes qui sont dehors, ces centaines ou milliers parmi les centaines de milliers qui vont venir.

Si c'est gratuit, pourquoi est ce qu'ils retiennent des gens dehors ?" questionne Mick, éternel pourfendeur de l'injustice.

Voici des mots qui lui seront pour le moins peu accolés dans l'avenir. Pourtant c'était bien ce qu'il était comme il était le jeune homme qui a répondu sous valium aux questions des journalistes car il venait d'apprendre le départ de Marianne Faithfull.

Peut être est ce Mick Jagger qui est mort à Altamont. Peut être que les Hells Angels l'ont assassiné, peut être qu'Altamont est la roue qui a brisé l'incandescent papillon.

Une fois que nous avons sauté, à la suite de Stan Booth, le mur du jardin, nous avançons au rythme des souvenirs pré Altamont du groupe, (entendez Keith, Charlie et le défunt Ian Stewart,) nous voyons les concerts dans des petites salles minables, la mécanique bordélique de ce groupe de jeunes gens déconneurs et capricieux, nous voyons Tina Turner prévenir Mick d'arrêter de draguer les Ikettes sous peine de se faire dérouiller sévère par sa brute de mari, Ike, Hendrix retourner la guitare de Mick Taylor, (il était gaucher) pour en jouer, nous voyons la caravane des Stones avancer dans sa naïveté et son inconscience vers son drame.

Elle était pourtant bien pacifique, cette foule aux aguets qui proposait des joints à Keith (resté toute la nuit à prendre de l'acide,) et Mick, elle était venue pour s'amuser....

Et tout a fini dans le sang, sous les coups des Hells angels.

"Après Altamont , par instinct de préservation, les Stones se mettraient au comique. Mais en 1969, le jour de Thanksgiving, peu de gens ont eu le sentiment que les Stones se donnaient en spectacle."

Que vous dire de plus, sinon de sauter la barrière du jardin avec Stan Booth et les Stones ?
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le 17 mai 2014

Modifiée

le 17 mai 2014

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