L’originalité de l’approche historienne de Marion Sigaut, c’est d’articuler une critique des Lumières et de ce qui aboutira à la Révolution française non pas sur une base étroitement “réactionnaire” (traditionalisme de principe, défense inconditionnelle et en bloc de l’Eglise et du roi, nostalgie des privilèges anciens, méfiance à l’égard des masses) mais au contraire sur une base sincèrement humaniste et dans le souci d’enjeux tels que ceux de la justice sociale, de l’équité et des intérêts populaires. Une posture qu’elle défend avec cohérence mais qui fait figure d’exception dans la littérature sur le XVIIIème siècle.
Avec ce petit ouvrage, présenté comme un manuel d’histoire et écrit avec beaucoup de pédagogie (nul besoin d’être un connaisseur de l’époque pour pouvoir s’y plonger), elle présente les oppositions auxquelles, à la fin de l’Ancien Régime, l’absolutisme royal a dû faire face, à travers des adversaires aussi bien organisés que la Compagnie du Saint-Sacrement, les jansénistes, les Encyclopédistes et surtout les parlementaires, lancés dans un bras-de-fer juridique et politique avec le roi. Dans un contexte troublé qui voit la magistrature monter en puissance, la monarchie est tiraillée entre ses devoirs envers le peuple et les prétentions de ceux qui rêvent de conférer aux notables locaux une autonomie et une impunité toute féodale. La mémoire nationale, très sélective, semble n’avoir retenu de cette période que ce qui se conformait à la légende républicaine. Qui se souvient encore que les persécuteurs les plus féroces lors de la chasse aux sorcières furent les juges séculiers et non les juges d’Inquisition ? Qui se souvient des Grands Jours d’Auvergne ? Qui sait encore que Mme de Montespan, favorite de Louis XIV, était impliquée dans une vaste affaire d’empoisonnements et d’infanticides ? Qui a su voir le rapport existant entre l’introduction en France du papier-monnaie proposé par John Law et la peste qui se répandit sur Marseille en tuant un tiers des habitants ?
Les deux derniers chapitres, consacrés à la politique de Turgot, contrôleur général des finances sous Louis XVI, sont incontestablement les plus éclairants : l’idéologie libre-échangiste, à l’origine de la guerre des farines et d’une paupérisation effroyable du royaume, y apparaît dans toute sa nocivité. Comme l’écrit l’historienne bourguignonne, « les Lumières furent à l’humanisme ce que le jansénisme fut à la grâce : la théorisation d’une séparation entre l’élite et le peuple ».