Je ne sais pas quel étrange hasard m'a porté vers Cicéron, ce n'est pas vraiment ce que je lis d'habitude. D'ailleurs, je traîne rarement, avec lui, dans les rayons oubliés des bibliothèques. A vrai dire, je cherchais plutôt à Savoir mourir, Cioran, et Cioran, Cicéron, c'est presque les mêmes lettres, au milieu des étagères poussièrereuses on discerne à peine le trait fin qui sépare le o du c. Alors voilà, il y avait ce sous-titre, Savoir vieillir, ça faisait quoi cinquante pages, c'était un signe du destin, évidemment. Soyons fous.
Cicéron, pour moi, c'est flou, orateur certes, politicien un peu, républicain convaincu, hellénophile avant l'heure ; on fera avec ce peu. Et miraculeusement, ça suffit, miraculeusement, tout ça se lit assez bien : c'est présenté comme un dialogue, le héros c'est Caton, politicien vieillissant et heureux enseigne à deux jeunes gens, Scipion (descendant de l'Africain) et un certain Tullius (jamais entendu parler) les bienfaits de la vieillesse. Parce que oui, vous, jeunes, êtes peut-être comme moi : immortel et in touché par le temps qui passe, loin d'imaginer une quelconque vieillesse vous saisir ; je ne sais pas si on a raison, peut-être qu'on ferme les yeux, qu'on s'inquiète, qu'on a juste peur de vieillir ? Trêves ! Rassurez-vous, la vieillesse c'est le bonheur ! Personne ne regrette ne plus être un bébé, pourquoi regretterions-nous ce triste âge adulte ?
Enfin presque, parce qu'il y a bien des vieillards aigris, lamentables méchants, mais ce ne sont que des mauvais hommes ! Un grand homme sera un immense vieux s'il sait rester vertueux, c'est la petite facilité. Si vous vous sentez visé en tant qu'être vil, débauché, paresseux, si vous n'avez pas l'âme d'un héros, passez votre chemin : quant à nous, continuons.
"En y pensant j’aperçois quatre raisons de plaindre les vieillards : en premier lieu il leur faut renoncer aux affaires, deuxièmement le corps s’affaiblit, troisièmement ils sont sevrés de presque tous les plaisirs, quatrièmement ils sentent la mort prochaine. Nous allons, si vous le voulez bien, examiner ces raisons une à une."
Voilà, c'est le programme de la visite. Des fois, je dois l'avouer, on perd un peu pied, parce que l'histoire n'a pas gardé tous les noms qui vivent sous sa plume - plume ? - mais peu importe, parce que c'est agréable, c'est intelligemment raconté, on y croise les grands poètes, les héros de la République côtoient ceux d'Homère, on y cite Enée, et puis on s'amuse, parce que c'est ça la vieillesse ; et il faut bien l'avouer, il y a même quelques pages merveilleuses sur le plaisir sensuel - destructeur, rappelez-vous toujours : "C’est pour lui qu’on trahit son pays, qu’on ruine l’État, qu’on engage avec l’ennemi des entretiens secrets, il n’est pas d’action honteuse ou criminelle où la passion du plaisir ne puisse engager." La contrepartie c'est ces pages un peu ennuyeuse sur l'agriculture et la passion du jardin, mais je ne lui en veux pas, tout ça est court et nous emporte déjà vers la mort, partie mystérieuse et passionnante de la vie s'il en est une.
Je vous rassure j'ai quand même pris Aveux et Anathèmes, de Cioran ; c'était le règne du mépris, du cynisme et de la dépression, et c'était bien aussi, après ce souffle antique de vie !