Je m’appelle Alya Benalitna, madame la juge, j’avais 29 ans lorsque dans la nuit du 31 décembre 2011, vers 5 heures du matin, je me suis fait agresser au pied de l’immeuble où je venais de réveillonner, chez une amie… Ainsi pourrait débuter “De mémoire” le livre de Yamina Benahmed Daho.
Yamina Benahmed Daho est née en 1979 en Vendée. Après des études de philosophie et de lettres à l'Université de Nantes, elle devient professeure de français. Elle a enseigné et vécu successivement à Orléans et Paris. Elle vit aujourd'hui à Lyon.
Sans plus attendre, disons-le que ce roman est un document exceptionnel. Exceptionnellement humain sur la tentative de viol que subit Alya et la traîne de douleurs qui l’assaille dès lors chaque jour. Tout y est rapporté avec une telle sensibilité, une telle précision, une telle violence que l’on n’est pas surpris d’apprendre de la bouche même de l’auteur : “ L’histoire d’Alya s’inspire d’un fait personnellement vécu. Après le procès, en 2017, j’ai eu le sentiment que je pouvais m’autoriser à transposer non seulement ce fait de violence et certaines de ses conséquences mais aussi les dispositifs et les rencontres qui en ont découlé (plaintes, convocations, entretiens, confidences …). Parce que la littérature a ce pouvoir : elle permet de raconter et de saisir un réel protéiforme. ”
La structure narrative du roman peut faire penser à une sorte de journal où chaque chapitre s’adresse à un interlocuteur particulier. Dans chaque chapitre, la narratrice, Alya, fait un effort “de mémoire” pour livrer les détails occultés par le choc dû au traumatisme à différents interlocuteurs : les officiers de police, le psychiatre, la psychanalyste ou la juge. Ainsi, les éléments narratifs se révèlent, s’enchaînent ou se répètent mais ne sont reliés entre eux que par un fil invisible, celui de la mémoire.
Mais ces répétitions n’atténuent pas sa peur et sa douleur : « C’est au ventre que j’ai très mal. La peur, une peur électrique et permanente, m’écrase l’estomac. Ça me presse le diaphragme et ça remonte jusqu’à la gorge. » Elle ne peut plus dormir car elle se sent vulnérable et à la merci d’un agresseur, la nuit. « Quand je me lève, j’ai peur. Toute la journée j’ai peur et je l’occupe à anticiper la nuit qui viendra. » Elle ne sort plus seule, elle n’ose plus prendre les transports en commun, elle voit son agresseur partout, il va la suivre jusque chez elle… Elle ne peut plus suivre ses cours à la faculté…
Quand elle parle avec sa maman dont la vie a été un long déchirement, fait d’émigration, de privations, de deuil, fataliste, elle lui dit qu’« Il faut accepter, il faut faire du courage et accepter, ma chérie. » Serait-ce la clé de l’apaisement ? « Il y aurait donc une recette, une technique, qui permettrait de faire du courage, comme on fait du fromage ou de la porcelaine ? Et, si ça se trouve, à force d’épreuves et d’obstacles, comme un bon artisan, on peut fabriquer du courage toujours plus solide pour résister aux violences fracassantes. »
La tentative de viol conduit la narratrice à s’interroger donc sur la place dévolue aux femmes dans la société et le bilan est sans appel : « L’espace public est aux hommes. Les femmes, surtout quand elles sont seules, ne font que l’emprunter. […] Contrairement à Rousseau, une femme ne pourrait jamais écrire les rêveries d’une promeneuse solitaire, parce qu’elle serait inévitablement interrompue au cours de sa promenade à pied. »
Ne comptez pas sur moi pour vous dire si Alya s’en sort et si oui, comment… Mais au cas où on mettrait la main sur son agresseur « Mieux vaut ne pas entrer dans un tribunal avec de l’espoir et un esprit de vérité, on risque d’être déçu. […] Il faut s’attendre à ce que seuls les faits assortis de preuves irréfutables y soient considérés. C’est peut-être ce qu’il y a de plus juste. Mais pas de plus honnête. »