Un curateur est chargé, par de mystérieux commanditaires, de constituer un cabinet de curiosité. Il a pour cela des fonds illimités et doit créer un environnement luxueux. Tout au long de ce travail, qui durera quatre saisons, il rédige un journal.
Le narrateur nous raconte les objets qu'il se procure. Il nous les décrit de manière imagée et sensible. On sent son amour des objets hétéroclites. C'est un homme en quête de beauté et il la trouve dans des choses surprenantes. Le texte commence le 28 décembre avec la description d'un ornithorynque, une curiosité de la nature, qui donne le ton du roman. Car des bizarreries, le narrateur en débusque. Ses objets proviennent de tout les domaines. Parfois ils étonnent ou intriguent et parfois ils dégoûtent où mettent mal à l'aise. Mais peu importe la nature de l'objet, même ceux qui sont les plus répulsifs, le narrateur en parle avec le même ton professionnel et appliqué.
Un objet, lui, est ou n'est pas. Il est fait pour ce pourquoi il est fait, être utile ou contemplé. Il ne perdure pas au-delà. N'est jamais en tout cas l'ombre de lui-même. Bien sûr les tableaux restaurés. Bien sûr les vases de Chine recollés. Mais rien qui persiste de soi-même, envers et contre tout, et surtout contre la logique, et surtout contre la beauté. J'aime chez les objets leur absence de résilience.
Le narrateur est prêt à tout pour obtenir les objets qu'il souhaite. Il accepte les choses volés ou détournés. Ayant les moyens de tout acheter, il se comporte en prédateur. Il imagine un lieu ou les objets les plus différents se confronterons, où le sublime et l’obscène seront côte à côte. Ce lieu est un endroit de privilège qui ne s’ouvrira à la vue que de quelques uns. Un lieu exceptionnelle aussi par son caractère secret et unique.
Il y a de la beauté dans la plume de Cécile Portier mais aussi un humour délicieux. C'est un travail attentif et amoureux de la langue qui suscite un vif plaisir de lecture. On le lit l'esprit en alerte, traquant les sens cachés et les phrases percutantes.
Peu à peu on s'enfonce avec le narrateur dans la vacuité de son quotidien et de son activité. Le temps s'étire et le vide nous absorbe. Il est seul, isolé dans une entrepôt, au cœur d'une ZAC, non lieu par excellence. La folie, progressivement et minutieusement, s'installe. Entrainer dans une quête mortifère de l'inédit, de l'ostentatoire, il se perd. Il a quelques chose d'assez vertigineux car bien des interprétations peuvent être faites de cette histoire. On peut questionner le domaine de l'art, la prédation des gens richissimes ou la courses à l’inédit. C'est un texte qui ouvre plein de pistes de réflexions et qui stimule notre intellect.
Je dors mal. Je pense à l'ordre des choses, qui m'incombe. Et puis je rêve bizarre parfois, par exemple d'embryons froissés, ou bien d'une femme aux jambes un peu trop maigres. Je rêve du creux de ses genoux et d'apaiser ses tendons. Son visage me reste inaccessible. Le réel me semble inaccessible. En tout cas pour le caresser. Je ne caresse que des idées.
Je vous recommande fortement ce roman singulier qui se digère et tourne encore dans notre esprit bien après la lecture, preuve de sa richesse et de sa grande qualité esthétique.