Chaque soir, en fermant mes volets, je ne manque pas de lancer un regard vers mon ciel bordelais, à l’affut des scintillements vespéraux. Une information sur la nébulosité locale, une assurance sur la présence pérenne des mondes voisins. La présence de la métropole proche rend le ciel quasi imperméable à la lumière des étoiles, seuls Lune et planètes sont bien visibles. Mais parfois quel spectacle ! Quand Vénus le veut bien, là-bas, à l’ouest, alors que l’horizon offre encore toute une gamme de couleurs profondes et généreuses, elle se dénude dans toute sa splendeur pour un ultime bain dans les derniers rayons du Soleil… Ô dieux de l’Olympe, qu’elle porte bien son nom ! Et, si ces dieux sont avec nous, ils nous prodiguent leur plus précieux ballet : la triade réunie, Mars-Jupiter-Saturne… Quel tableau ! Jupiter, en majesté, éblouissant et somptueux. Saturne, minuscule mais d’un éclat presque insoutenable et enfin Mars. Mars la Rouge. L’orangée, plutôt. Bien reconnaissable et si attirante par tous les phantasmes qui l’accompagnent. Mars la mystérieuse, et ses petits bonshommes verts…
Là, j’ai une pensée compatissante pour le beau-père de ma fille qui ferme ses volets sans bouger de son fauteuil, juste en effleurant l’écran de son smartphone…


Mais revenons aux dernières nouvelles en provenance de Mars !
C’est lors de l’émission de « On n’est pas couché », sur France 2, le 13 juin 2020, que j’ai entendu parler pour la première fois de Francis Rocard, venu présenté son livre « Dernières nouvelles de Mars ». J’avais évidemment "connu" son père, Michel Rocard, Premier Ministre sous François Mitterrand, mais Francis est, semble-t-il moins médiatisé.
Francis Rocard est né en 1957 à Paris. Il obtient un doctorat ès sciences en astrophysique en 1986 et commence sa carrière comme astrophysicien au CNRS. En 1989, il entre au CNES comme responsable des programmes d’exploration du système solaire. Depuis 1998, il coordonne la mise en œuvre du programme d’exploration de Mars.


Donc, face à une équipe de béotiens particulièrement ignare, menée par un Laurent Ruquier rigolard, bêtifiant et quasiment analphabète, le pauvre Francis a retrouvé le phrasé tragiquement incompréhensible de son père… J’ai rarement vu un auteur « vendre » aussi mal son bouquin ! Alors, connaissant mon gout pour tout ce qui touche à l’Espace, lorsque ma femme m’a demandé si j’avais envie de lire son livre, j’étais bien embarrassé.
Mais, après le dernier John le Carré, il me fallait télécharger un nouveau bouquin, et une fiction ne me tentait guère. Sur le site de la FNAC, à la rubrique "Sciences-Médecine", Francis apparaissait en première place des ventes devant Aurélien Barrau et son défi, emportant mes dernières réticences.


Donc Francis va nous faire découvrir ce que l’on sait, aujourd’hui, sur cette mystérieuse planète, s’il y a de l’eau, de la vie ou des traces de vie, comment envoyer un homme sur Mars, et pourquoi ? Quelles sont les différentes missions envisagées vers et sur Mars en vue de la mission ultime : faire séjourner un équipage plus d’un an sur Mars. Ensemble, nous analyserons les difficultés majeures et la stratégie des étapes successives. Vaste programme ?


Programme sous Spolier.


Si vous avez VRAIMENT envie de lire ce livre (très intéressant), vous pouvez vous arrêter ICI.
Les lecteurs qui souhaitent quelques détails supplémentaires, mais pas trop, se reporteront au résumé en fin de texte… Et ceux qui veulent en savoir plus (sans lire le livre) peuvent tout lire.
À vous de choisir !


De notes en résumé, de résumé en condensé, je vais essayer d’extraire la substantifique moelle de tout ce que nous raconte Francis. Et il nous en dit, des choses. Difficile de faire court. Chaque détail semble indispensable… Mais pour ne conserver que l’essentiel, j’ai réécrit ce qui suit trois fois. Pardonnez la longueur, je n’ai pas eu le cœur de réduire davantage. Par contre si vous voulez plus de détails, allez à la source !


Alors, Mars et ses petits bonshommes verts… Y a-t-il quelque chose qui laisse supposer qu’il y a ou qu’il y a eu une approche de vie sur Mars ? Il faut de l’eau, non ? Du carbone, de l’oxygène, des molécules organiques…
Le premier défaut de Mars ? Sa petite taille, son diamètre est près de deux fois inférieur à celui de la terre, son volume sept fois plus faible. La petite taille de la planète a eu pour effet la perte du champ magnétique, de l’atmosphère et en définitive de l’eau en surface : « Mars, de taille intermédiaire entre la Lune et la Terre, a pu la [l’atmosphère] maintenir pendant près de 500 millions d’années, permettant à l’eau sous sa forme liquide d’exister en surface à cette époque. »
La pression atmosphérique actuelle, en surface, est moins de 1/100e de la pression terrestre avec un effet de serre pratiquement inexistant. Des tempêtes de poussières ont été observées sur Mars, leur effet mécanique sur un astronaute en scaphandre serait négligeable compte tenu de la pression ambiante.
Néanmoins l’eau a existé sur la surface et a laissé des traces de ruissellements qui ont provoqué de l’érosion.
Quel est le bilan de l’eau sur Mars ? Il ne peut être qu’approximatif tant l’eau enfouie dans le sous-sol est difficile à quantifier. Ce qui est sûr c’est que Mars en possédait une grande quantité. Une partie s’est échappée dans le milieu interplanétaire, une autre s’est enfouie dans le sous-sol, une autre s’est condensée aux pôles et une autre sous forme de glaciers locaux recouverts de poussières. Une dernière partie correspond à de l’eau de constitution des roches sédimentaires, argiles, sulfates, etc.
Une recherche indirecte de trace de vie est menée à travers la détection du méthane provenant de bactéries méthanogènes, ou de l’impact d’une comète, de réaction chimique entre le dioxyde de carbone et de l’eau à haute température au voisinage de volcan, par exemple. « À ce jour, de nombreuses détections ponctuelles de méthanes ont été annoncées. » (Faibles et controversées)
Et le carbone alors ? « Le but est de trouver soit des molécules prébiotiques montrant que les processus de synthèse vers la chimie du vivant se sont mis en œuvre, soit des molécules issues du vivant dont la signature permet de les distinguer d’une origine minérale. » À ce jour des dizaines de molécules organiques ont été détectées en quelques années. Mais, aucune des molécules détectées ne présente la caractéristique d’une biosignature.


Alors, pour en avoir le cœur net, c’est facile, il suffit d’aller chercher un peu de sol martien et de l’analyser dans nos labos terrestres, non ?
Exactement, seulement la mission de retour d’échantillons de Mars sur Terre nécessite un aller-retour extrêmement complexe et périlleux. Aujourd’hui (printemps 2020), le scénario proposé, dans une coopération ESA-NASA, prévoit l’envoi de trois véhicules, rien que ça :
En été 2020, la NASA envoie un rover équipé d’un dispositif de forage qui prélève une quarantaine de carottes. En 2026, l’orbiteur de « rendez-vous et capture » est lancé, probablement par l’ESA, il se placera en orbite basse autour de Mars en attente. En 2026 ou 2028, la NASA lance un nouvel atterrisseur martien, équipé d’une petite fusée. Il doit se poser au plus près des dépôts d’échantillons. Le rover a alors neuf mois pour récupérer tout ou partie des échantillons. De retour à l’atterrisseur, il transfert les échantillons à bord de la fusée qui se place en orbite autour de Mars. L’orbiteur en attente localise la fusée en orbite, s’en approche et capture le conteneur d’échantillons puis entame le trajet de retour par son injection sur la trajectoire Mars-Terre. À proximité de la Terre la capsule contenant les échantillons est larguée et tombe en balistique dans un désert américain (pour être mise en quarantaine).
Pas facile d’aller faire son marché ! Coût du panier de carottes ? 5 à 10 milliards de dollars… Pourvu que ça marche !


Mais, au fait, pourquoi aller sur Mars ? Qu’est-ce qui va convaincre le Congrès de voter le budget ?

Francis nous énumère 7 arguments :
1. Les retombées scientifiques et économiques des dépenses de Recherches et Développement.
2. Les retombées en termes de sécurité nationale pour les USA.
3. L’inspiration et les vocations scientifiques que le programme suscite auprès des jeunes cerveaux.
4. Une éventuelle solution de survie de l’humanité malgré une « terraformation » très certainement irréalisable (aujourd’hui).
5. Savoir jusqu’où l’homme peut aller dans le cosmos.
6. « L’héritage Apollo » qui s’est traduit concrètement, depuis 1981, aux États-Unis par l’attribution de la moitié de leur budget spatial aux vols habités (Navette spatiale puis Station spatiale internationale) pour un coût de plus de 150 milliards de dollars avec le nombre d’emplois correspondants.
7. Il existe au Congrès une crainte que le pays perde son leadership devant la montée en puissance de la Chine.
Là, je me permets d’ajouter un huitième point qui ne figure pas dans l’ouvrage de Francis Rocard mais dans de nombreux autres livres qu’il m’a été donné de lire. Même si ce point ne peut être un argument pour inciter le Congrès américain à voter le budget pour la conquête de Mars :
8. Ce huitième point est inscrit dans les gènes de l’humanité, il s’est manifesté par une expansion permanente depuis qu’homo a quitté son berceau africain pour se répandre sur la totalité de la surface de la planète, parfois dans des conditions de sécurité tout aussi périlleuses que les futures expéditions martiennes, compte tenu des connaissances techniques du moment, comme par exemple, le peuplement de l’Australie il y a environ 60 000 ans.


Bon alors, on a envie d’y aller, le Congrès a débloqué les fonds, maintenant, comment on fait ?
Fastoche, on prend son billet, en ligne, c’est plus facile, on va à l’embarcadère et six mois plus tard on met le pied sur Mars, et voilà ! Ben voyons…
C’est une blaaaague ! …
Vous avez vu, pour les carottes ? Et bien ce sera à peu près la même chose pour les hommes… en plus compliqué ! Je vais essayer de synthétiser le bazar, sans trop commettre d’erreurs :


Quel que soit le concept, il existe des contraintes incontournables : le voyage aller, le séjour (court ou long), le voyage retour, et l’utilisation des transferts dits de Hohmann qui minimisent l’énergie du voyage (aller comme retour).
Le voyage proprement dit, pour un équipage de 4 à 7 personnes, sera réalisé à bord d’un véhicule modulaire, sorte de « train spatial », prévu pour une durée de six-cents à mille jours. D’une masse comprise entre 300 et 500 tonnes il nécessitera 3 à 5 lancements d’un lanceur lourd avec mise en orbite basse terrestre (ou lunaire) des éléments de plus de 100 t qui seront assemblés, en orbite. Puis un véhicule de propulsion injectera le train spatial vers Mars et un étage propulsif le placera en orbite martienne.
Le train spatial sera utilisé pour un bref survol de Mars. Il doit démontrer la faisabilité d’un vol aller-retour, autour du Soleil d’une durée de dix-huit mois environ…
L’étape suivante est le maintien d’un équipage en orbite martienne. Elle nécessite de développer une petite station en orbite pourvue de toute la logistique nécessaire. Elle pourrait comprendre une dizaine de modules, envoyés à vide et assemblés sur place, avant l’envoi de l’équipage. Le but serait de démontrer la possibilité de faire vivre en orbite martienne un équipage pendant une durée de cinq cents jours. Cette station servirait ultérieurement à envoyer des hommes à la surface pour de courts séjours (quelques jours à un mois). Un atterrisseur se poserait sur site, sa partie supérieure pouvant décoller pour retour à la station.
Pour un séjour de longue durée (plus d’un an), une infrastructure de base martienne devra être envoyée et assemblée au préalable.


Et à quoi ressemblerait ce Club de Vacances d’un nouveau genre ?
Il serait composé de cinq entités : les modules de vie (habitation, travail, culture alimentaire, régulation thermique…), les véhicules mobiles pressurisés, la centrale à énergie, les systèmes de communication et le module d’exploitation des ressources pour la fabrication des ergols de propulsion, de H2O et O2.
Tout comme la Résidence « Les Flots Bleus », elle devra être opérationnelle avant l’arrivée des hommes. Sa construction devra se faire par télé-opération, soit depuis la Terre, soit depuis l’orbite martienne.


On l’a vu, on ne ramène pas tout de la terre, on se sert sur place, ça fait des bagages en moins :

On a pu observer des sites de plusieurs km² de sulfates poly-hydratés qui contiennent jusqu’à 20 % d’eau en masse. On va bien trouver le moyen de l’extraire pour la nourriture, la toilette, les cultures alimentaires…
Il sera nécessaire de produire de l’oxygène à partir du CO2 qui compose 96 % de l’atmosphère martienne. Son extraction sera plus facile que pour l’eau, mais très consommatrice d’énergie.
De même, à partir de H2O et O2 on va fabriquer sur place les ergols destinés à la propulsion du module qui doit permettre à l’équipage de rejoindre le véhicule en attente, en orbite.


Enfin, dans la démarche de recherche d’eau sur la Lune ou sur un astéroïde, une station spatiale en orbite lunaire deviendrait une « station-service » pour s’approvisionner en eau, voir en carburant. Il peut s’avérer intéressant de partir de l’orbite lunaire si vous y faite le plein de carburant.


Il reste encore beaucoup à faire et des acteurs privés prennent de plus en plus de place aux États-Unis, comme les sociétés SpaceX, Northrop Grumman ou Blue Origin. Ainsi une trentaine de livraisons de fret à l’ISS ont eu lieu à l’aide de capsules SpaceX et de cargos Northrop Grumman.
La mainmise sur l’espace par les milliardaires du privé n’est pas sans danger. Le patron de SpaceX veut coloniser Mars d’ici quarante à cent ans, en faire une résidence pour milliardaires désireux de fuir une Terre polluée et rendue invivable par le réchauffement climatique. « Ceux qui ont de gros moyens pourront quitter cette Terre afin de finir leur vie sur Mars. Cette issue de secours aux calamités à venir ici-bas entend fournir une planche de salut aux plus fortunés. Il faut bien avouer que les partisans du projet ne sont pas les premiers à défendre la biodiversité sur Terre et à la préserver… »


En résumé (obligatoirement très simplifié) :
Pourquoi Mars ? Parce qu’après la Lune, c’est pratiquement la seule destination possible et qu’elle présente une attractivité géographique, géologique et biologique suffisante. En outre c’est l’endroit de l’Univers le plus facilement accessible, où l’émergence du vivant est (a été) possible.
Le programme est finançable car la NASA consacre 100 milliards de dollars par décennie sur ce type de programme.
L’expérience acquise lors des programmes précédents leur donnent confiance pour mener ce nouveau défi.
Surtout, la raison politique de ce programme est la crainte de la perte du leadership devant la montée en puissance de la Chine dans ce secteur.
Des difficultés techniques restent à résoudre telles : le nucléaire spatial pour la production d’énergie ; le développement du véhicule martien de type navette avec bouclier thermique gonflable ; le développement du véhicule de remontée vers la station en orbite martienne et son approvisionnement en ergols produits sur place.
Rappelons la progression des missions probables :
- Collectes d’échantillons de sol martien pour analyse en laboratoire sur Terre, afin de dédouaner la suite du programme.
- Survol de Mars par un véhicule habité pour prouver la faisabilité d’un aller-retour de dix-huit mois.
- Mise en orbite martienne d’un équipage dans une petite station avec atterrissage de courte durée.
- Séjour de longue durée dans une station martienne.
Rappelons que tous les modules constituant les véhicules ou les stations sont acheminés et assemblés sur place préalablement à partir d’une orbite terrestre, lunaire ou martienne.
Le programme peut-il être remis en cause ? L’expérience a montré que c’est souvent le cas aux États-Unis. On peut s’imaginer un revirement vers une véritable base lunaire, probablement au pôle Sud, ce qui repousserait le programme Mars de deux décennies, au moins.
Il est impossible aujourd’hui de chiffrer avec précision un budget global, on peut estimer qu’un programme sur trente ans coûtera 300 milliards de dollars, s’il se poursuit sur cinquante ans, il en coûtera 500 environ.
On peut envisager la première mission ver Mars (survol) dans les années 2030, mais l’intégralité du programme s’étalera au-delà du milieu de ce siècle.
Tous les choix ne sont pas encore faits, tous les défis ne sont pas encore relevés, le siècle qui s’annonce sera riche en rebondissements, découvertes et aventures mais également en déconvenues et en échecs, ces nécessaires aiguillons qui poussent l’humanité vers l’avant.


Un mot sur le livre de Francis ? Il est complet, très complet. Un document. J’ai trouvé le début un peu rébarbatif (je suis plus technicien que chimiste) mais la suite est plus abordable, presque anecdotique. Peut-être un peu embrouillé dans le programme, qui est complexe et pas encore figé. Si j’ai fait un effort de synthèse c’est en pensant à mes amis "lettrés" qui veulent savoir « en gros » ce qu’il en est, ou entrer un peu plus dans les détails… sans leur imposer la lecture de l’ouvrage.

Philou33
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le 25 juin 2020

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