Ce bouquin entre dans la catégorie que j'ai coutume d'appeler les "polars nazis", à savoir les romans policiers qui se déroulent en Allemagne à l'époque du troisième Reich. Catégorie finalement assez peu fournie, et dont les plus célèbres ouvrages sont sans doute ceux de la trilogie berlinoise de Philip Kerr. Ici, les codes traditionnels du polar sont nécessairement remis en cause par le fait que les enquêteurs, dès lors qu'ils ne sont pas privés, dépendent de la police allemande, et en l'occurrence ici pour l'un des deux personnages centraux - Kalterer - à la Gestapo. Il suffit de préciser que le second - Haas - est un évadé de Buchenwald, ce qui plante tout de suite le décor, et l'ambiance du bouquin. "Deux dans Berlin" évite tout de même de tomber dans le piège du manichéisme : Kalterer a des remords (un peu tardifs, certes) et Haas est un meurtrier assoiffé de vengeance.


Au delà de ce face à face - au demeurant très bien scénarisé - le livre vaut par sa description hallucinante du Berlin des six derniers mois du régime nazi. Bombardements apocalyptiques par l'aviation alliée et trafiquants en tout genre, dans une ville désertée par la plupart de ses hommes en âge de combattre et remplacés par des étrangers, déportés au titre du S.T.O ou collaborateurs en fuite. Cette ambiance de fin de règne va bien évidement en s'accentuant au fil de l'intrigue et les derniers chapitres sont proprement terrifiants : officiers SS qui s'enivrent à mort avant de repartir au front, vieillards et enfants mobilisés dans la Volksturm, dignitaires du régime qui se livrent à la débauche tout en cherchant à assurer leurs arrières pour l'après-guerre, berlinois dont les logements ont été détruits et qui errent, hagards, dans la ville se terrant la nuit dans des caves au milieu des ruines.


"Deux dans Berlin" aborde également les ressorts et fondements du régime nazi, notamment s'agissant de la façon dont certains profiteurs se sont enrichis en spoliant les ennemis du régime et les juifs de leurs biens. S'y trouve également posée la question de l'obéissance aux ordres, quels qu'ils soient. Et transparait évidemment le désenchantement - c'est un euphémisme - des allemands qui y ont cru, qui ont porté Hitler au pouvoir et qui voient jour après jour leur rêve s'effondrer...


Voilà, un fond historique solide donc, et un scénario à multiples rebondissements et bien maitrisé, qui font de "Deux dans Berlin" un très bon "polar nazi", au niveau de la trilogie berlinoise précédemment évoquée. Une bonne lecture sans aucun doute, même si elle n'est guère chargée d'espoir.

Marcus31
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Lu en 2017

Créée

le 12 août 2017

Critique lue 326 fois

3 j'aime

3 commentaires

Marcus31

Écrit par

Critique lue 326 fois

3
3

D'autres avis sur Deux dans Berlin

Deux dans Berlin
Pier-Yvan
9

Critique de Deux dans Berlin par Pier-Yvan

Basé sur des faits rigoureux, ce roman policier de 430 pages écrit par deux historiens allemands spécialisés dans l'Histoire culturelle et sociale du XXe siècle se déroule pendant les derniers mois...

le 18 mars 2017

2 j'aime

Deux dans Berlin
Ilnyakemaille
4

Critique de Deux dans Berlin par Ilnyakemaille

écrit à quatre mains par 2 historiens, ce polar pas très bien écrit/traduit et parfois un peu poussif reste passionnant par sa description d'une Berlin en gravats sous les bombardements quotidiens...

le 13 mars 2018

Deux dans Berlin
WestAnne
7

Critique de Deux dans Berlin par WestAnne

1944, Berlin agonise. Un ancien SS et un prisonnier échappé des camps de la mort engagent un combat sans merci. Un polar historique superbement documenté.

le 8 sept. 2015

Du même critique

Papy fait de la résistance
Marcus31
10

Ach, ce robinet me résiste...che vais le mater

Ce qui frappe avant tout dans ce film, c'est l'extrême jubilation avec laquelle les acteurs semblent jouer leur rôle. Du coup, ils sont (presque) tous très bons et ils donnent véritablement...

le 2 sept. 2015

42 j'aime

5

Histoire de ta bêtise
Marcus31
10

A working class hero is something to be

Un pamphlet au vitriol contre une certaine bourgeoisie moderne, ouverte, progressiste, cultivée. Ou du moins qui se voit et s'affiche comme telle. On peut être d'accord ou non avec Bégaudeau, mais...

le 15 avr. 2019

32 j'aime

7

Madres paralelas
Marcus31
5

Qu'elle est loin, la Movida

Pedro Almodovar a 72 ans et il me semble qu'il soit désormais devenu une sorte de notable. Non pas qu'il ne l'ait pas mérité, ça reste un réalisateur immense, de par ses films des années 80 et du...

le 14 déc. 2021

25 j'aime