Parfois, sans le vouloir, sans l’anticiper, on tombe par hasard sur une «perle» de littérature. Un moment un peu vide dans une journée qui s’annonce chargée, deux heures à ne pas perdre bêtement, un regard circulaire pour piocher, dans la bibliothèque de ma fille, un livre pas trop épais qui comblera ce vide, et je tombe sur « deux femmes et un jardin », d’une autrice dont je n’ai jamais entendu parler auparavant, Anne Guglielmetti. Le nombre de pages est rassurant, la quatrième de couverture est alléchante : la rencontre de deux femmes, l’une âgée et l’autre adolescente, et des liens qui se nouent entre elles dans un jardin de campagne en friche d’une petite maison de l’Orne.

Je m’avance alors, avec curiosité d’abord, puis avec un intérêt croissant au fil de ma lecture, à la rencontre de Mariette, femme de ménage introvertie, craignant plus que tout les rapports humains et ayant, par le plus grand des hasards, hérité d’une maison qu’elle mettra du temps à apprivoiser, à accepter comme sienne, persuadée qu’un jour ou l’autre le malentendu sera mis à jour et qu’on viendra lui reprendre. Peu bavarde, hormis avec elle-même, Mariette lutte contre les fantômes : ceux de son enfance, ceux qui l’ont blessée adulte, souvent même sans le savoir, sans la voir, et ceux qui la hantent encore dans cette maison de poupée et contre qui les bougies ne peuvent pas grand-chose « mais quelle autorité avait donc la flamme d’une bougie ? »

Le seuil de cette maison, même Louise, adolescente boudeuse et mal dans sa peau, coincée entre un père absent et une belle-mère indifférente, mettra beaucoup de temps à le franchir : il lui faudra attendre d’être trempée par la pluie pour que Mariette la convie à rentrer, craignant plus que tout « qu’elles (Louise et la maison) ne s’entendent pas, ne s’apprécient pas mutuellement ». Car la rencontre entre ces deux femmes, et une grande partie de l’histoire qui s’ensuivra, ne se passent pas dans la maison mais dans le jardin, ce jardin qui est le troisième personnage du roman, celui que l’on voit sortir progressivement de son état de friche, celui dont on suit l’évolution au rythme des saisons et des soins qu'on lui prodigue, celui dont on découvre peu-à-peu les richesses à l’instar de « la floraison des rosiers les plus précoces, et celle, insoupçonnée, de plusieurs pieds de pivoines qui avaient dardé, au secret de l’herbe, des pousses charnues d’un rouge sombre, puis déplié le vert de leur tiges, étagé leurs feuilles en bordure de cette même herbe coupée par Louise, et ouvert enfin les opulents ruchés de leurs têtes blanches, aux innombrables pétales dissimulant un cœur d’étamines safran ».

Au fond, Mariette, que l’on a parfois envie de secouer un peu, est aussi fragile et aussi merveilleusement belle qu’un coquelicot : « quatre pétales rouge feu, nouées à une mince tige par une mouche de velours noir, et qui, une fois tombés, découvraient une petite capsule finement côtelée, pour l’heure hermétiquement close, semblable à celle du pavot ». Elle s’ouvrira un peu, très peu au fond, mais assez pour nous attendrir et pour marquer à jamais Louise, qui reprendra bientôt le cours de sa vie.

Après deux heures de lecture en dehors du temps, je repris, moi aussi, le cours de ma vie, mais avec de furieuses envies de jardinage, et le printemps me sembla soudain aussi lointain que prometteur. En reposant ce livre, je me promis d’acheter, un jour prochain cette « encyclopédie des jardins » que Louise offrit à Mariette et qui, avec l’Atlas des routes de France, constituera son unique bibliothèque : « Louise était de retour, et de retour avec un livre. Un livre à vous ? hasarda Mariette. Oui ; à moi, rien qu’à moi, répondit Louise dans un rire, et que je vous offre si vous voulez bien l’accepter ».

Frederic-marie
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le 11 nov. 2024

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Une belle idée passagère

Si l'idée est belle, et la rencontre entre ces deux femmes prometteuse, le fond n'aboutit à aucun enchantement. Les personnages décrits mériteraient de nouvelles aventures.

le 20 août 2023

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