Entre le roman et la philosophie
Ce roman s'inscrit dans une abondante collection de fictions mettant en scène des noms illustres des débuts du christianisme afin de développer l'évangélisation dans diverses régions du monde. Ce type d'écrits se compte au moins par centaines. Ici, le principal personnage mis en scène sous forme autobiographique (et qui, le plus souvent, dit "je" dans le roman) est Clément, troisième successeur de Pierre à la tête de l'Eglise de Rome, ce qui en fait en quelque sorte le quatrième Pape.
Les deux versions présentées, les "Homélies" (en grec), et les "Reconnaissances" (en latin), peuvent être approximativement datées des IIIe et IVe siècles. Le récit utilise les ressorts des romans grecs de l'Antiquité: séparation initiale, voyages aventureux, naufrages, rencontres avec le merveilleux, avec le monde de la magie et des métamorphoses, quiproquos, interventions divines qui dénouent heureusement des situations sans issue apparentes, retrouvailles finales.
Ce cadre narratif offrait à l'auteur la possibilité d'intégrer au récit discours publics ou entretiens privés, controverses ou enseignements plus ou moins ésotériques, qui font l'intérêt essentiel de notre écrit.
Le véritable héros du roman est Pierre, l'apôtre de Jésus, qui va enseigner dans diverses villes du Proche-Orient la doctrine du "vrai prophète" (par opposition à Simon le Magicien, son pervers et diabolique contradicteur, archétype du "faux prophète"). Pierre est fortement soutenu par une sorte d'infaillibilité personnelle: il triomphe toujours dans les débats, et il est en mesure de guérir les malades et de ressusciter les morts, à l'image de Jésus-Christ.
Parmi les sujets débattus au cours des "homélies" et des disputes avec Simon le Magicien:
unicité de Dieu contre polythéisme; critique de la mythologie grecque; l'origine de l'humanité et sa chute dans le péché; anges et démons; condamnation de l'idolâtrie, des songes et des oracles; le nom de Dieu; la bonté de Dieu; le problème de l'origine du Mal, etc.
Les sujets débattus font également place à la doctrine des syzygies (Dieu aurait tout créé par paires, par exemple la lumière et les ténèbres), celle des fausses péricopes (présence dans le texte de la Bible même de faux passages, embarrassants pour la doctrine chrétienne, tendant à faire penser par exemple qu'il existe plus d'un Dieu).
Ce qui frappe dans ces débats, en dépit de l'archaïsme apparent de certains sujets, c'est l'extrême rationalité et l'actualité du ton, des formes de raisonnement. Loin d'emprunter à ce véritable ésotérisme délibérément coupé du peuple, qu'est le langage philosophique d'aujourd'hui, le Roman pseudo-clémentin s'exprime en termes simples. Même si certains de ses raisonnements doivent plus aux règles de la rhétorique alexandrine qu'à une véritable logique, même si l'attachement à la "vraie doctrine" conduit à réfuter l'astrologie, par exemple, au nom de prémisses logiques plus qu'au nom de l'observation des faits concrets, ce texte souligne la profondeur et la complexité des débats qui ont animé le christianisme des premiers siècles, et l'esprit militant dont il se revétait afin de fonder sa propagation.