Tout citoyen se situant sur la gauche de l’échiquier politique devrait impérativement prendre le temps de lire cet ouvrage collectif consacré à l’état économique de l’Union européenne. A l’issue de cette lecture éminemment instructive, il s’avère en effet impossible, à moins de se reconnaître comme un néolibéral carabiné, de défendre encore le projet européiste en l’état. Rarement on aura lu critique plus éclairée, de la part d’intellectuels de gauche, de la collaboration totale des social-démocraties européennes avec ce que le capitalisme a de plus offensif. Démystifiant le récit héroïque de la construction européenne et balayant l’argument fallacieux d’une union qui aurait permis la pacification du continent, Cédric Durand rappelle le rôle des Etats-Unis qui, dès l’époque de la déclaration Schumann, ont soutenu et en partie téléguidé le processus. « L’intervention directe des Etats-Unis dans le geste inaugural européen participe de l’affirmation d’un nouveau type d’empire. » Comme l’avait bien compris Hayek, la forme fédéraliste de l’UE a d’abord été pensée comme un moyen de rendre impossible toute intervention de type socialiste dans les affaires communes car « le pouvoir fédéral consiste principalement à empêcher les législateurs des différentes entités d’entraver le fonctionnement du libre marché ». L’ordolibéralisme, doctrine qui est à la base de ce qu’on a appelé un peu vite économie sociale de marché, a favorisé l’introduction d’une monnaie unique, instrument de dépolitisation des questions économiques et sociales et « facteur d’accélération de l’européisation du capital ». Il s’agit avant tout de « sortir la politique monétaire du champ de la délibération démocratique ».


Dans cette zone euro qui est pourtant économiquement une des moins dynamiques du globe, la souveraineté disparaît là où s’arrête la solvabilité… La troïka européiste (Commission européenne, BCE, FMI) poursuit sa fuite en avant vertigineuse au cœur du Pumpkapitalismus, le capitalisme à crédit. On trouve également dans le livre un chapitre intéressant sur la crise grecque et ses conséquences sur la politique intérieure ainsi qu’un autre qui analyse la crise européenne en relisant Gramsci. « Le choix qui s’offre désormais, écrit Durand, n’oppose plus poursuite de la construction européenne et retour à l’échelon national, comme voudraient nous le faire croire médias dominants et zélateurs euro-libéraux de l’UE, mais deux options contradictoires : le césarisme ou la démocratie. »

David_L_Epée
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le 17 nov. 2015

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