La littérature sud-africaine est féconde depuis longtemps, y compris pendant les temps honnis de l'apartheid, mais elle a le plus souvent été blanche et masculine. Avec Enrage contre la mort de la lumière, Futhi Ntshingila donne enfin une voix aux héroïnes invisibles de son pays, maltraitées par la vie, la société et les hommes mais courageuses, obstinées et résilientes. Dans les trente premières pages du livre, une adolescente est violée (Mvelo) et sa mère décède du Sida (Zola) : mort de la lumière et entrée dans le désespoir ? Forcément, le lecteur a peur d'avoir devant ses yeux un lourd mélodrame à tendance misérabiliste. Mais c'est ne pas connaître l'auteure qui va alors entreprendre un retour vers le passé et revenir aux racines de son histoire. Au fil des pages, l'on retrouvera Mvelo et Zola mais aussi d'autres personnages magnifiques et fiers, des femmes principalement, victimes mais combattantes. C'est bien d'un mélodrame qu'il s'agit mais proche de la réalité, dans les bidonvilles de la banlieue de Durban, et conté avec un sens aigu du rythme et un style percutant. Après nous avoir plongé dans le noir, Futhi Ntshingila fera finalement entrer la lumière et l'émotion dans ses derniers chapitres, n'hésitant pas à convoquer hasards et coïncidences pour mieux conjurer le sort. Impossible de ne pas l'accompagner vers la renaissance, lessivé et ébahi par sa puissance narrative. Les éditions Belleville ont pris l'habitude de défricher des territoires littéraires peu courus des grandes maisons françaises (Iran, Arménie, Slovaquie, Slovénie, Croatie ...). Enrage contre la mort de la lumière confirme cette ardeur à promouvoir des textes qui sortent des sentiers battus. Et avec quel éclat !