Palinodie et complaisance pour tenter d'insuffler vie à un génie du mal nain de jardin.
Publié en août 2013 et complaisamment acclamé par une part non négligeable de la presse "littéraire", le cinquième roman de Tristan Garcia (le premier que je lisais) m'avait attiré sur la foi d'une quatrième de couverture habilement rédigée et d'un "pitch" bien relayé en amont, autour de la question de l'intelligence, de l'engagement et du désarroi d'adolescents de la "classe moyenne" dans la France contemporaine.
Hélas, trois fois hélas, cela faisait bien longtemps que je n'avais pas lu un livre aussi vide, aussi frelaté, et aussi insultant vis-à-vis d'un minimum d'intelligence, de sensibilité et de culture de la part de ses lecteurs "potentiels".
Le héros, Faber, orphelin d'origine maghrébine, vivant dans une petite ville de province, est censé incarner, auprès de celui et celle qui deviennent très vite ses meilleurs amis d'enfance, une sorte d'intelligence suprême qui va se dévoyer et les entraîner dans sa chute...
En fait d'intelligence suprême, l'auteur nous montre essentiellement un garçon fin, observateur des rapports sociaux de cours de récréation (thème qui n'a jamais été montré, avec talent et authenticité, ni en littérature, ni en bande dessinée : Vargas Llosa, Musil, Golding, Card, Gide, Bioy Casares, Sempé et Goscinny, Cauvin ou encore Zep en conviendront aisément), qui devient un lycéen lecteur précoce de livres "politiques", fréquentant des étudiants plus âgés que lui (chose rarissime et exceptionnelle, comme chacun sait), tout en devenant un véritable "génie du mal" (dont le symbole sera longtemps d'avoir remplacé le lithium d'un professeur bipolaire par un placebo - oui, monsieur !) et en atteignant bientôt le point culminant de sa carrière : l'occupation de son lycée, pendant les grandes grèves de 1995, avec l'aide d'élèves du "technique" et de "gars de la cité". Iconoclaste en diable, ce garçon, on vous l'avait bien dit...
L'histoire est donc d'une rare banalité, et absolument pas à la hauteur de l'ambition affichée. Pire encore, la narration est noyée dans une perpétuelle afféterie de détails censés "matérialiser" le texte, mais qui prennent très vite l'allure (et ne la quittent plus) de laborieuses énumérations de mobilier d'intérieur, de noms de rues, d'enseignes de boutiques, pour un "effet de réel" du pauvre, qui, très loin de Brett Easton Ellis ou de Houellebecq, ressemble surtout à un pitoyable remplissage.
Le contraste entre les ronflements des absolus affichés ("destructeur", "génie du mal", "entraînant les autres dans sa chute", "méritant la mort") et la réalité décrite pourrait (on l'espère un moment) constituer une sorte de gigantesque "second degré" (l'aspect outré des 30 premières pages, les seules du livre à proposer quelque chose d'intéressant, était en ce sens prometteur, avant de s'effondrer, très vite, comme un soufflé assez lamentable). Les dernières pages et leur sentencieuse "leçon" dissiperont toutefois définitivement ce (très) mince espoir.
Tristan Garcia a donc réussi la prouesse de créer un personnage mythique : le "génie du mal de jardin", qui est (pour ne prendre qu'un exemple parmi les myriades possibles) au "Démon" de Selby ce que le véritable nain de jardin est à la mythologie scandinave et aux contes de Grimm et d'Andersen.
J'avoue pour finir ne (réellement) pas parvenir à comprendre comment un texte aussi vide, aussi frelaté, dont les effets sont si basiques et si honteusement pompés partout, le talent en moins, parvient à retenir une attention positive de la part d'une partie non négligeable de la critique littéraire "officielle". Mystères de l'édition et du médiatique contemporains...
Je suis rarement aussi dur avec un livre. J'ai aussi rarement eu autant le sentiment d'avoir été "trompé" sur un contenu.