Giovanni Papini n'est pas l'un de ces tièdes vomis par le Christ. Fils d'un artisan toscan garibaldien, républicain et anticlérical, le jeune Giovanni (1881-1956) se passionne pour la littérature et les sciences. L'instituteur se veut positiviste. L'écrivain publie nouvelles et essais, proclamant la mort de la philosophie et revendiquant nihilisme et athéisme. Pourtant, il signe en 1921, à la stupéfaction générale, Histoire du Christ.
Le polémiste n'est pas mort, au contraire, il proclame sa détestation des puissants, prêtres, pharisiens, banquiers et commerçants, tous déicides, tous idolâtres de l'argent. " La monnaie porte en soi, avec la sueur grasse des mains qui l'ont palpée, l'inexorable contagion du crime. De toutes les choses immondes et manufacturées par l'homme pour se salir et salir la terre, la plus immonde peut-être est la monnaie. "
Sa foi est vive, mais (encore) brouillonne. J'émettrai deux réserves :
" Il ne craint pas de haïr et se rapprochera du fascisme. " La haine, parfois, n'est qu'un amour imparfait, inconscient de soi, et de toute manière, elle est un meilleur apprentissage d'amour que l'indifférence. "
" Sa foi est teintée d'encratisme : il dévalorise la chair au profit de l'esprit. Or, le péché ne nait pas de la chair, mais du cœur, donc de l'esprit. À la fin des temps, nous ressusciterons avec nos corps.
La langue, magnifiquement traduite, est somptueuse. Giovanni accompagne le Christ dans sa vie publique, jour après jour. Il décrit, commente, admire. Le sud de l'Italie de la fin du XIXe siècle est encore très proche de la Palestine de Jésus. Giovanni a connu le travail de la terre ingrate, la pauvreté digne, les solidarités rurales, la vie de village, la joie d'un mariage, la fatigue du soir, la solitude du berger. Contrairement au Jésus d'Ernest Renan, le sien est vrai homme et vrai Dieu. Il accepte les miracles et révèle le sens des théophanies : de simples signes accordés à l'homme pour l'aider à croire.
" Jésus, même dans sa gloire de juge du dernier jour, n'oublie pas les pauvres et les malheureux qu'il a tant aimés lors de sa première venue. Il voulut apparaître comme un de ses " petits " qui tendent la main aux portes et que les " grands " ont en dégoût. Il fut sur la terre, au temps de Tibère, celui qui eut faim de pain et amour, qui eut soif d'eau et de martyre, qui fut comme un étranger en son pays et non reconnu par ses frères, qui se dénuda pour revêtir qui frissonnait, qui fut malade de tristesse et que personne ne réconforta, qui fut emprisonné dans la vile geôle (sic) de la chair, dans l'étroite prison de la terre. Il fut le divin affamé d'âmes, l'assoiffé de foi, l'étranger venu d'une patrie indicible, le nu sous les verges et les crachats, l'aliéné de la folie sacré d'amour. Mais il ne pense pas, aujourd'hui, à soi-même, comme il n'y pensa pas tant qu'il fut homme parmi les hommes. "
PS Pour l'encratisme, l'âme préexistante, corrompue par la concupiscence, a chuté dans le monde charnel, or, la matière est intrinsèquement mauvaise. L'encratisme s'est mué en manichéisme et perdura au travers des gyrovagues, bogomiles et autres cathares.