"J'avais prévenu Monsieur Ici, on ne s'amuse plus...
Et Jérôme eut envie de répondre à Barca :
- C'est plus grave que vous ne le croyez, mon pauvre Ludovic. Je ne pense pas qu'il existe encore un seul endroit où l'on sache et où l'on ose encore s'amuser."
Écrite en 1942, cette belle nouvelle est saturée du désastre de l'Occupation, qui coupe toute les lignes de fuite. On tente d'y échapper à Monte-Carlo ou dans un hôtel désuet de la Turbie, en s'adonnant au démon du jeu ou dans les bras d'une femme. Mais elle est toujours là et contraint chaque chose à l'éphémère.
L'absence de perspective obligent les protagonistes à ressasser leurs lubies : splendeur passée d'un établissement de prestige, obsession de la sécurité face à la tragédie de l'exil. Jérôme tente d'échapper à ce cycle mortifère : après avoir, comme d'autres "planté sa tente à Nice parmi des gens qui volontairement donnaient à leur présent le plus de ressemblance possible avec le passé, qui jouaient dans la capitale de leur exil la comédie de Paris", il tente de lui échapper en prenant pension à l'Hôtel de la Turbie.
Se rejoue alors un des classiques de la littérature d'hôtel : une salle de restaurant trop vaste, une cliente désœuvrée dont le mari reste opportunément absent jusqu'à la nuit tombée. Un jeu amoureux presque caricatural, assurément tragique puisque "ce temps vénéneux empoisonne même l'amour".
De ce jeu naissent de belles lignes de dialogues, que l'on croirait, au choix, sorties d'un roman épistolaire ou d'un film de la Nouvelle Vague :
" Ne vous creusez pas la tête, mon cher garçon. Vous me plaisez. Vous m'avez plu dès le premier soir. A votre table, vous ressembliez à un enfant. Je ne sais quel jouet on vous a retiré, mais je le saurai un jour. Car vous me direz tout. Vous brûlez déjà de me raconter vos souvenirs d'enfance, de me parler de votre mère qui reste votre meilleure amie, et de votre meilleur camarade de lycée qui vous a déçu en devenant un homme. Tous les hommes font les mêmes aveux, proposent les mêmes partages".
Et encore, malgré tout :
"Je ne vous ai pas défendu de m'aimer"