La quête d'une filiation, d'une identité alors qu'il ne reste rien sinon un nom, d’ailleurs tronqué, c'est ce qu'entreprend l'autrice. De part et d'autre de la méditerranée, elle va sur les traces de ceux qu'on appelle les rapatriés, ceux qui débarquent en 1962 à Marseille. En enquêtant sur un homme ordinaire, un pied-noir comme il y en eu tant sur le port de la Joliette cette année là, Marie Cosnay nous invite à penser notre propre rapport à l'Histoire. If est un texte hybride ou fiction et réalité se mêlent.
Le texte commence en 2016 à Marseille. L'autrice revient sur l'histoire du château d'If. Ce château-prison au large de la ville concentre bien des légendes et des histoires dont la plus célèbre et celle d'Edmond Dantès. Ce conte mythique s'invitera régulièrement tout au long du récit en écho à l'itinéraire d'un autre homme, Mohamed Bellahouel. A partir de ce nom, l'autrice part en quête d'une histoire particulière pour mieux éclairer la grande Histoire, la rendre vivante. Son imaginaire se déploie autour des rares éléments qu'elle a en sa possession. Le livre se fait tour à tour enquête, roman ou essai. La fiction se mêle aux éléments historiques et nous invite à considérer notre rapport à l'autre, à la religion, à l'étranger. A partir d'un homme qui a vécu, dont elle n'a trouvé que le nom, elle crée un personnage de roman. L'itinéraire de cet homme et aussi un moyen de réfléchir aux liens entre la France et l'Algérie et aux traces qu'ils ont laissés de nos jours.
On avance dans l'histoire à tâtons, au fil des découvertes de l'autrice et des associations d'idées qui la traverse. A Marseille, Bayonne ou Alger, elle enquête et traque les traces laissées par Mohamed. Elle cherche aussi l'Histoire, celle qui forge nos identités et impact notre présent. Elle parle de l'exil, de la politique aussi. Le texte se fait parfois militant en pointant les failles, les bassesses des dominants. Elle interroge le regard que l'on porte sur la religion musulmane et les sources de la défiance à son égard qui saisi certain. C'est aussi une plongée dans l'histoire d'un pays, l'Algérie, une histoire presque tabou chez nous.
Au début du XXème siècle, alors que la France invente la laïcité (que cent ans plus tard, on prône, la dévoyant, à tue-tête), alors que l'on juge qu'il faut desserrer les liens entre domaine religieux et domaine politique, en Algérie et en ce qui concerne l'islam, on fait le contraire.La loi s'applique partout en France - et l'Algérie, c'est la France, comme on ne cesse de la répéter.
La langue est belle car elle est dynamique et poétique. Un passage très descriptif, presque documentaire, prend d'un seul coup des accents lyriques. La poésie s'invite dans le quotient, dans l'informatif. Les images s'entrechoquent, les allés retours dans le temps sont permanents. Cette écriture si particulière immerge dans la quête de l'autrice et nous fait nous tenir à coté d'elle.
Mon petit regret c'est de pas connaitre assez bien l'histoire de l’Algérie. Beaucoup de références et des personnes me sont inconnus. Cela ne m'a pas gênée dans ma lecture mais je pense que je suis passée à côté d'une partie des éléments. Je me suis sentie honteuse de découvrir certaines choses seulement maintenant, moi qui fut tellement passionnée d'histoire durant de nombreuses années. Une lacune que ce livre m'invite à combler...
J'aimais mon histoire dans sa version serrée, resserrée, impeccable, OAS enfermé comme communard d'antan, chacun, à cent ans de distance, prisonnier au château; J'aimais l'histoire de l'autre version, l'amoindrie : au hasard d'une visite, le nom a surgi. Quoi qu'il en soit, nous étions toujours prêt à nous exalter et, c'est la même chose, à avoir beaucoup de peine pour les petits personnages de l'Histoire.