Presque cent ans après les Grands Feux qui ont dévasté le nord de l’Ontario au début du XXe siècle, une photographe entreprend de rassembler les portraits des survivants. Elle est à la recherche de l’un d’eux, Boychuck, qui, à quatorze ans, a perdu toute sa famille dans la catastrophe et vit maintenant retiré dans les bois. Lorsqu’elle le localise, il vient de mourir, ne laissant que la collection d’inexplicables tableaux qu’il a peints, et les deux amis, également retirés du monde, qui vivent à proximité de sa cabane. Une vieille femme, Marie-Desneiges, sera la seule à savoir décoder les peintures de Boychuck, hanté toute sa vie par l’horreur vécue dans sa jeunesse.
L’auteur a choisi d’imaginer, chez des personnages fictifs désormais au soir de leur vie, les traces et les souvenirs laissés par les événements historiques. C’est donc indirectement et par bribes, par le prisme de la mémoire et du traumatisme mais aussi par le filtre d’une douloureuse pudeur, qu’elle nous fait revivre cette tragédie méconnue, au fil des rencontres d’une photographe qui nous sert en quelque sorte d’alter ego. Peu à peu, derrière l’intrigue contemporaine inventée en premier plan, se dessine en filigrane une trame historique totalement fidèle à la réalité.
C’est à vrai dire cette reconstitution historique, particulièrement impressionnante, qui m’a le plus intéressée. Parmi ces incendies partis de feux d’abattis, le plus meurtrier fit en 1916 deux cent vingt trois victimes et détruisit deux cent mille hectares de forêt. Les survivants évoquèrent des scènes d’apocalypse, où « il pleuvait des oiseaux », tués par une « atmosphère irrespirable de chaleur et de fumée ». Des familles entières périrent, d’autres échappèrent à la mort par miracle : « en creusant la terre de leurs mains entre les rangs de leur champ de pommes de terre et, chacun dans son sillon, ils étaient restés face contre terre pendant que les vagues de flammes déferlaient au-dessus d'eux. »
La partie contemporaine de l’histoire m’a en revanche beaucoup moins séduite. Malgré la tendresse manifeste de l’auteur pour ses personnages fragilisés par l’âge et par l’invisible fardeau de leurs souvenirs, l’émotion s’est chez moi dissoute dans le maelström de thématiques qui caractérise le versant fictif du roman. Vieillesse et fin de vie, suicide et euthanasie, amours impossibles et quête de liberté : à la longue, tout m'a semblé s’entremêler et brouiller le fil narratif, dans une surenchère de bons sentiments parsemée d’invraisemblances. Ce qui commençait comme une réaliste tragédie aux touchants personnages s’est finalement mué en une décevante et peu crédible friandise trop sucrée.
C'est donc globalement désappointée que je referme ce livre, certes bien écrit et agréable sur un sujet historique étonnamment méconnu, mais dont j'attendais plus de profondeur au vu de ses nombreuses récompenses littéraires.
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