Très très jolie découverte que ce délicieux petit roman : Il pleuvait des oiseaux.
Jocelyne Saucier est québécoise, plus exactement elle vient de l’Abitibi-Témiscamingue, tout là-haut, une région de forêts marbrées de lacs, entre la baie d’Hudson et les Grands Lacs de l’Ontario.
Pas étonnant que la dame parte à la recherche des survivants des Grands Feux qui ravagèrent ces régions il y a cent ans et qui firent pleuvoir des oiseaux (qui mourraient asphyxiés en plein vol).
[…] Il pleuvait des oiseaux, lui avait-elle dit. Quand le vent s'est levé et qu'il a couvert le ciel d'un dôme de fumée noire, l'air s'est raréfié, c'était irrespirable de chaleur et de fumée, autant pour nous que pour les oiseaux et ils tombaient en pluie à nos pieds.
Une histoire de deux ou trois vieux, des marginaux qui ont tout plaqué derrière eux et qui sont partis vivre en forêt, loin de tout et surtout de tous, dans leurs cabanes au Canada(1).
Tom, Charlie vivent là-bas au bord d’un lac. Ted serait mort récemment, nous dit-on.
Ted, c’est lui le rescapé des Grands Feux, lui qu’était venue chercher une photographe qui collectionne les portraits de ces survivants.
Aucune mièvrerie, aucun angélisme dans l’histoire de ces vieux épris de liberté et de fausse solitude qui vieillissent et apprivoisent la mort prochaine. Mais de l’humour, un réalisme parfois cru et beaucoup, beaucoup d’humanité.
Autour des vieux, quelques ‘témoins’ : chacun d’eux aura droit à son chapitre et à une brève introduction, procédé insolite de l’auteure pour installer ou mieux, faire entrer en scène ses personnages, et qui nous entraîne avec elle dans un regard à la fois distancié et affectueux.
Au cœur des chapitres, la trame de l’histoire des trois vieux et les souvenirs des Grands Feux. Celui de Timmins (1911), celui de Matheson (1916) et celui de Haileybury (1922).
Parmi ces témoins : notre photographe donc, et puis Bruno, un hippie qui approvisionne les vieux en échange du ‘droit’ à cultiver de la marie-jeanne (!) et puis Steve, le gérant d’un hôtel oublié de tous, qui se charge d’égarer les curieux et de protéger la tranquillité des vieux et de la plantation.
Et puis le clou de l’histoire, la meilleure pour la fin : Marie-Desneige, rescapée et exfiltrée des dortoirs des asiles psy après soixante-six ans d’internement. Donc une vieille, elle-aussi, plus vieille même que les vieux et qui, à quatre-vingt deux ans, ne peut plus dormir seule.
Mais Marie-Desneige voit des choses qu’on ne voit pas (la survie en asile demande d’être continuellement aux aguets, ça aiguise les sens).
Ted le survivant n’est plus là et n’a laissé derrière lui que des peintures abstraites, des centaines de toiles incompréhensibles et c’est Marie-Desneige qui, de son visage à la peau blanche et parcheminée, éclairera toute cette histoire, l’errance de Ted, les tableaux mystérieux dans sa cabane, la mémoire des Grands Feux.
Ce qui nous vaudra de belles histoires d’amours, d’amours impossibles, ce sont elles qui font les plus belles histoires.
[…] L’amour impossible n’est plus possible de nos jours.
Bien sûr on pense au Lièvre de Vatanen, en moins facétieux, au lac Baïkal de Sylvain Tesson, en moins arrogant, aux racontars de Jørn Riel, en moins cocasse, à d’autres encore.
Ce bouquin donne à lire une autre face de ce nature-writing devenu tellement à la mode dans nos vies citadines, une face plus intime, plus chaleureuse.
Et puis surtout, Jocelyne Saucier fait preuve d’une grande tendresse pour ses personnages ce qu’on apprécie beaucoup, tout autant que ses talents de conteuse.
Frais, tendre et lumineux.
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