Voilà, dans son genre, un petit roman parfait. Oh bien sûr, il est probablement plus facile d'être Maugham que Proust, mais la littérature étant un paysage où il y a autant besoin de collines que de grandes montagnes, pourquoi bouder son plaisir lorsqu'on peut s'offrir une friandise aussi réussie qu'"Il suffit d'une nuit" ?
Pas de grands messages philosophiques, pas de profondes émotions, pas d'expérimentations stylistiques révolutionnaires, certes, mais un sens du récit que beaucoup de ses collègues pourraient envier à Somerset (chouette prénom, un peu comme si chez nous quelqu'un s'appelait Calvados ! ). C'est joliment écrit, rapide, rempli de personnages crayonnés avec talent, et surtout, surtout, ça vous empoigne dès la troisième page pour ne plus vous lâcher. On va de rebondissement en surprise, se demandant toujours comment les choses vont tourner, on dirait une chorégraphie savante pleine de rebonds et de gestes réjouissants, un fox-trot sans arrières-pensées, avec tout le brillant et le charme de ces soirées au clair de lune chez les heureux du monde qui vivent indolents au milieu des peupliers toscans. Maugham a le génie de la situation et de l'intrigue : une riche veuve, un vagabond suicidaire, un aventurier tête à claque, un diplomate tout ce qu'il y a de plus respectable, et un jeu de cache-cache virevoltant, bref un quatuor digne des plus belles pages de Mendelssohn, avec la mort en chef d'orchestre. Si vous croisez le chemin de ce petit bijou, n'hésitez pas, entrez dans la ronde.