La scène se passe dans le bar de l’hôtel de l’aéroport de Toronto. Un non-lieu s’il en est, ou lieu achronogénéritropique selon le lexique fourni par Coupland. Ce lexique offre une réactualisation bienvenue de celui qui accompagnait Génération X dans les marges en 1991. Outre la fascination de l’auteur pour les troubles obsessionnels compulsifs, on retrouve dans Joueur_1 la hantise de la solitude qui était le thème central d’Eleanor Rigby.
« All the lonely people, where do they all belong ? » C’est en substance la question qui anime les personnages de Joueur_1, un roman ressemblant au final, à un long monologue intérieur, personnifié par Kate, Rachel, Luke ou Rick.
Au bar de l’aéroport, les destins se croisent. Kate, une mère divorcée esseulée traversant tout le pays pour un rendez-vous avec Warren, qu’elle a rencontré sur un forum. Luke, le pasteur qui a perdu la foi. Rachel, la belle fille qui doit suivre des cours de normalité afin de trouver sa place dans le monde. Rick, le barman alcoolique. Tous ces personnages vont voir leurs destins réunis par un cataclysme mondial qu’ils vivront en direct de ce bar des plus quelconques. Drôle d’endroit pour passer ses dernières heures, mais soit. Comme on refait le monde au comptoir du bistrot du coin, les protagonistes de cette tragédie postcontemporaine reviendront sur leurs propres erreurs, les questions qui les ont taraudées toute leur vie et auxquelles ils n’ont toujours pas de réponses à la fin de cette civilisation.
De quoi est fait un humain ? De ses gadgets, ses grigris émotionnels qu’il transporte à longueur de temps ? De ses émotions ? De son ADN ? Du laïus religieux à la novlangue scientifique, parfois un simple amalgame de définitions Wikipédia non vérifiées et non vérifiables, Douglas Coupland balaie le spectre des possibilités, des questions les plus triviales aux plus essentielles. Des millions d’années d’évolution ne nous ont pas permis de saisir l’essence du temps, ni ce qu’il y a de l’autre côté d’un trou noir, ou même la différence fondamentale entre une corneille et un humain. Assemblant les signes avant-coureurs de la fin d’une civilisation, Coupland trouve de très bonnes idées, comme cette pilule « 10 septembre » (en la prenant on aurait l’impression que le 11 septembre ne s’est jamais produit). Toutefois, il ne parvient pas réellement à insuffler de la vie à ses personnages. Animées telles des marionnettes, elles sont plutôt différentes facettes d’une même pensée.
Et cette pensée n’est pas claire. Entre pessimisme individualiste et tendance à voir la main divine partout, il faut choisir. On rit parfois, mais on se demande souvent ou Coupland veut en venir. En attendant un essai préfacé par Hubert Reeves, on va cryogéniser Joueur_1 et le ressortir le jour où les réserves de pétrole seront épuisées, en espérant y trouver quelques modes d’emploi visionnaires.
(critique parue ici http://www.discordance.fr/douglas-coupland-joueur_1-37364)