Lorsqu'on aborde « Joueur_1″, on s'attend à lire un livre sur les tribulations d'un joueur de jeu vidéo, prisonnier d'un monde virtuel, où il serait un personnage héroïque, destin que la société actuelle lui interdit d'embrasser.
Mais il n'en n'est rien.
Roman moderne, actuel, certes. Futuriste? Certainement. Divertissant, résolument.
Karen est secrétaire dans un cabinet de psychiatres. Mère célibataire, divorcée, elle décide, grâce à internet, de rencontrer un homme dans un bar d'aéroport. Même si elle craint de passer pour une « cougar », ces femmes en quête d'aventure avec des hommes plus jeunes, lorsqu'un adolescent prend en photo son décolleté avec son iphone dans l'avion...
Dans ce même bar d'aéroport, son tenancier, Rick, regarde s'accumuler ses jours de sobriété, et s'abonne à des cours de coaching mental pour donner un coup de brosse à reluire à sa prochaine quarantaine.
Accoudé à une table, Lucke noie dans l' alcool sa retraite prématuré en tant que pasteur. Après avoir pris la fuite avec le pactole de l'église, il se demande s'il pourrait encore oublier sa solitude avec la ravissante Rachel qui lui engage la conversation.
Rachel -le personnage peut être le moins subtil du roman hélas- vient s'ajouter aux nombreuses figures de romans campées par une belle et jeune femme blonde, distante, étrange, intelligente mais différente...bref, comme venue d'un autre monde, un ange tombée du ciel, mais qui souffre ici de troubles du spectre autistique.
Joueur_1, enfin, est ce double numérique, ce narrateur contemporain,sorte d'avatar de Rachel, personnage inadaptée aux codes de la société, mais qui pourtant trouve sa place dans son envers numérique.
Ces personnages, ces loosers de l' ère du numérique, se retrouvent isolés dans ce lieu de transition moderne, alors qu'une nouvelle fracassante retentit sur le petit écran télévision: le prix du baril du pétrole vient d'atteindre des niveaux exceptionnels, apte à paralyser le monde que nous connaissons.
Et c'est donc un terrible bouleversement: l'essence et le pétrole devenus inaccessibles, le monde se fissure, attentats, terrorisme, fanatisme, le verni craquelle et ébranle les personnages de ce radeau de la méduse.
Le livre est donc un mélange d'audace, d'anticipation, d'humour et de cynisme. En effet, le pari est d'imaginer ce que serait le talon d' Achile de notre société, son point faible. Le cour du baril de pétrole est ici ce qui met en échec des millénaires de construction.
Face à cet écroulement, des questions: Comment garder la foi dans un monde pareil? Qu'est ce que la normalité? Comment supporter la solitude?
A différentes questions, différentes réponses que propose la société occidentale vacillante: il faut avoir un enfant pour être une femme normale, il faut être marié à un certain âge pour ne pas être un solitaire original...
Jamais Douglas Coupland ne se départit de son sens de l'humour acerbe, sur une société fragile, qui se réfugie dans le numérique à mesure que le capitalisme ronge ses dernières ressources.
A l'image de Rachel, que ses troubles autistiques poussent à se réfugier dans un « Lieu du bonheur », comme un grand enfant autiste, la société se retranche dans ses sites, dans ses jeux et ses tchats...
Et nous pourrons nous risquer à citer ici cette réplique culte du film « La Haine » de Mathieu Kassovitz: » C'est l'histoire d'une société qui tombe et qui au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : « Jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien... » L'important c'est pas la chute, c'est l'atterrissage.«
Emma Breton