Dans Cahier XVI (9 juin 1990-22 décembre 1991)
"JEUDI 14 JUIN 1990
Berlin. 16 heures.
Ai bien travaillé hier soir et cet après-midi encore. Cela ne me donne pas de talent mais au moins le sentiment du devoir accompli."
"MARDI 14 AOÛT 1990
Paris. Midi trente.
La Troisième Guerre mondiale n'en finit pas de ne pas commencer."
"MERCREDI 30 JANVIER 1991
Besançon. 9 h 10.
(...)
Ma mère me dit que ce n'est rien, que tout cela est pris très tôt et mon père joue les désinvoltes. Mais je ne les ai pas aimés assez, ce que je me dis - une fois de plus, dans un train - et si j'ai des reproches à leur faire, rien ne m'empêche d'être triste de ma propre solitude et de mon incapacité à leur dire un peu les choses."
"JEUDI 1ER AOÛT 1991
Besançon. 18 heures.
(...)
Je suis dans le train et je pense à cette distance infranchissable entre eux et moi.
(...)
N'ai jamais eu autant d'argent.
Trop seul."
"DIMANCHE 22 DÉCEMBRE 1991
Paris. Chez moi. 19 h 30.
(...)
Mes parents ont failli me faire hurler des horreurs définitives l'autre soir. Il a fallu que j'aille me mettre au lit à 8 heures du soir pour éviter l'irréparable.
On m'aura abîmé, mine de rien."
Dans Cahier XVII (25 décembre 1991-03 février 1993)
"MERCREDI 11 MARS 1992
Paris. La Coupole. Midi trente.
(...)
Ai croisé Ron. Et Ron, c'est comme Gary, moins la passion, moins la Mort."
"DIMANCHE 10 MAI 1992.
19 h 30. Même endroit évidemment.
(...)
Mort de Marlène Dietrich.
Je croyais qu'elle et moi, nous étions immortels. Il faudra que j'y réfléchisse."
"MERCREDI 25 NOVEMBRE 1992
Toulouse. 18 h 30.
Place du Capitole (évidemment).
(...)
Le succès et ma cote m'obligent à des débats étranges... On me parle comme si j'étais un petit génie alors que je ne suis qu'un pauvre homme un peu perdu."
CAHIER XVIII (08 février 1993-20 novembre 1993)
"LUNDI 15 FÉVRIER 1993
Paris. Charonne. 13h30.
(...)
Télévision : Les Damnés de Visconti C 'est très beau, mieux que je ne m'en souvenais. Mais tout de même, un peu trop "esthétique pédé" pour être honnête. Tous les SA sont sexy, avec de beaux petits culs... Le nazisme était très joli, dommage qu'il fût méchant."
"DIMANCHE 16 MAI 1993
Rome. Place du Panthéon. 16 heures environ.
(...)
Je songe beaucoup à la mort de Jean-Pierre et de fait, à toute mon histoire, depuis si longtemps, et jusqu'à ces derniers temps, la nuit où Jean-Pierre est mort, à mon histoire avec François.
C'est à cause de toute cette histoire-là qu'on meurt, que, sans le savoir, sans le décider, on a décidé de mourir."
"SAMEDI 28 AOÛT 1993.
Aubenas. 11 heures.
(...)
J'ai fait un rêve.
Souvent, ces temps derniers, je fais un rêve, je crois cela, je fais un rêve comme celui-là.
Dans mon appartement - mais mon appartement ressemblait plus à cette maison qu'à mon appartement à Paris -, à la suite de violentes disputes très tristes avec des gens qui me font des reproches, je préfère tout casser peu à peu, pas violemment, mais systématiquement, avec beaucoup de soin, casser, tout détruire les choses qui sont à moi. Et puisqu'on me fait des reproches, je détruis mes objets et je n'aurai plus rien."
CAHIER XIX (22 novembre 1993-17 avril 1994)
"MARDI 4 JANVIER 1994
Belfort. Théâtre. 11 heures.
(...)
Mes parents, c'était terrible. J'ai beau me promettre de "ne pas prendre", de nier toute velléité, en niant, je me détruis.
Je n'en pouvais plus, j'étais épuisé et en plus avec tout le mal que je me fais, je ne les rends pas heureux. Je suis le fils le plus désagréable, le plus sinistre de la terre, et pourtant c'est encore à moi que je fais le plus de mal."
CAHIER XX (19 avril 1994-23 juin 1994)
Je préférerais de nouveau prendre part à la vie que d'écrire cent histoires. Thomas MANN
"JEUDI 12 MAI 1994
Paris. Chez moi. L'Ascension. Midi.
(...)
Berlusconi est plus dangereux que la risible petite-fille de Mussolini (qui n'a que ça pour elle). Il est le fascisme subtil, très bien organisé de demain, d'aujourd'hui. Et on s'émeut de je ne sais quelle réminiscence des années trente, alors que Big Brother commence à nous tenir (TF1 me paraît plus dangereux que Saint-Nicolas-du-Chardonnet)"
Il cite le Journal de Cocteau :
"17 avril 1943
Le terrible d'une époque, c'est qu'il faut la vivre en détail. (page 299)"
"JEUDI 23 JUIN 1994
Paris. Chez moi. 9 h 30.
(...)
On dit qu'on est malade et comme dans Providence de Resnais - une réplique que j'ai adorée : "Ah, bonjour, c'est vous l'homme qui allez mourir?...""
CAHIER XXI (26 juin 1994-17 septembre 1994)
Il cite le Journal d'André Gide :
"6 janvier 1982
Je remarque cette différence entre l'intelligence et l'esprit : que l'intelligence est, par sa nature, égoïste, tandis que l'esprit suppose l'intelligence de celui à qui il s'adresse.
D'où ceci : l'intelligence explique (Taine, Bourget, etc.) ; l'esprit raconte seulement (XVIIe siècle).
Il faut de l'esprit pour bien parler, de l'intelligence suffit pour bien écouter.
(page 23)"
Puis il cite Baudelaire :
"Il faut écrire tous les jours à heures fixes parce qu'à défaut d'inspiration, on a le réflexe."
Puis de nouveau Gide :
"1894
Les choses les plus belles sont celles que souffle la folie et qu'écrit la raison. Il faut demeurer entre les deux, tout près de la folie quand on rêve, tout près de la raison quand on écrit. (En Pléiade, page 50)"
"SAMEDI 3 SEPTEMBRE 1994
Paris. Chez moi. 15 h 20.
(...)
On est là, on est rien."
CAHIER XXII (20 septembre 1994-24 juillet 1995)
Tandis que l'on parle, la vie s'écoule. TCHEKHOV.
"MARDI 20 SEPTEMBRE 1994
Paris. Chez moi. 18 heures.
(...)
(Nouveau cahier. Le précédent est dévoré par l'été. Il n'y avait que lui. J'ai de moins en moins de choses à raconter mais de plus en plus de temps. C'est peut-être le principe d'un Journal : remplacer la vie manquée.)"
"DIMANCHE 2 AVRIL 1995
Paris. Chez moi. 20 heures.
(...)
Pensée affreuse : ma mère m'explique que ma sœur ne baptisera pas son enfant avant au moins un an - elle m'a demandé d'en être le parrain - et j'ai pensé que je serai mort et à l'abri de tous les ennuis qui s'y apportent. (Honte à moi, sincèrement.)
"MERCREDI 28 JUIN 1995
Paris. Chez moi. 11 h 30.
Été soudain très chaud.
(...)
Vidéo (télévision) : E la nave va et Huit et demi de Fellini. Ai revu Huit et demi pour trouver la porte d'entrée au Pays Lointain. N'ai pas trouvé."
"LUNDI 10 JUILLET 1995
Paris. Chez moi. 18 h 15.
(...)
Drôle d'impression le premier jour que j'aurais dû noter et que j'ai laissée s'échapper : il y avait là comme le sujet d'une nouvelle.
Dans cette ville, dans cette chaleur, "l'histoire" d'un homme venu dans un festival témoigner de sa mort prochaine et perdant un peu son temps à attendre l'heure, le lendemain, de l'enregistrement."
CAHIER XXIII (7 août 1995------)
"MERCREDI 9 AOÛT 1995
Paris. Chez moi. Midi.
(...)
Hiroshima mon amour de Resnais. Pureté parfaite.
Et j'étais là, dévoré et angoissé d'amour et j'entendais exactement ce que je ne pouvais exprimer."
"MARDI 19 SEPTEMBRE 1995
Paris. Chez moi. 9 h 30.
(...)
Le dimanche, je suis allé chez mes parents. J'ai vu l'enfant de ma sœur."
"MERCREDI 27 SEPTEMBRE 1995
Paris. Chez moi. 9 h 30.
Et la maladie, c'est cela aussi, il ne faudrait pas imaginer que c'est seulement un état mélancolique, la maladie, c'est aussi depuis plusieurs jours maintenant, se réveiller en s'étant chié dessous, en ayant le slip plein de merde, sans même en avoir été réveillé.
(...)
Ce sentiment de totale salissure et de dégénérescence du corps, en se levant, en se lavant, en lavant les vêtements.
Cette impression terrible de l'abandon de son propre corps."
Il meurt le 30 septembre 1995.