Il y aurait de belles pages d'histoire culturelle à écrire sur le mouvement qui a amené des générations d'Européens du nord — anglais, flamands, scandinaves, etc. — à gagner le Sud et sa lumière chaude. Les barres de béton de l'Algarve et de la Costa Dorada sont les héritières d'une vieille fascination, à laquelle ont communié les visiteurs du Grand Tour aussi bien que les touristes allemands du XXIe siècle. Le narrateur de Justine est un de ces nordiques échoués sur des rivages lointains. Il revit son passé à Alexandrie depuis une île grecque (peut-être la Phraxos de John Fowles ?). De ce passé peuplé d'ombres variées, une d'entre elles se distingue : celle de Justine, avec qui le narrateur a vécu une histoire d'amour passionnée. L. Durrell livre cette histoire dans une prose dense voire touffue, qui marche parfois à deux pas du ridicule (“We were all there, so to speak, in the misty solution of everyday life out of which futurity was to crystallize whatever drama lay ahead” !). En ajoutant à cela les rêveries du narrateur, qui passe d'un sujet à l'autre sans beaucoup d'égards pour la chronologie, le début de Justine est parfois assez pénible.
Reste que L. Durrell révèle progressivement ses cartes de conteur talentueux. D'abord, il campe ses personnages avec beaucoup d'intensité, par quelques descriptions bien senties. Ensuite, il sait créer un suspens assez implacable à la fin de l'œuvre, lorsque le narrateur craint pour sa vie, et une belle atmosphère douce-amère à l'occasion du dénouement. Malgré les excès, on ressort donc curieux du premier opus du Quartet d'Alexandrie, certainement assez pour rééditer l'expérience en découvrant sa suite immédiate, Balthazar.