Michael Heinrich livre ici le premier tome d'une biographie de Karl Marx. A vrai dire, je suis très méfiante à l'égard des biographies, la faute à une certaine tendance à isoler un individu de son époque, à en faire une sorte de génie transcendant les conditions historiques, sans s'attarder sur les conditions historiques qui ont amené à ce que le dit individu soit perçu comme un génie. A vrai dire le principe de la biographie, faire le portrait d'un homme ou d'une femme m'apparaît comme problématique. Il est difficile de se projeter dans la tête d'autrui, de connaître ces pensées, ce qui amène forcément à des problèmes d'interprétations.
Cependant, Heinrich résout habilement ce problème. Il souligne, à la suite de Quentin Skinner, dans la dernière partie de son livre qui est méthodologique (chose fort rare chez les historiens, encore plus chez les biographes), que l'interprétation de la pensée de Marx qu'il délivre au travers de l'histoire de la première partie de sa vie (d'avant sa naissance à l'obtention de son doctorat in abstentia à Iena), est tributaire d'une époque, et des questionnements d'une époque.
En effet, comme il le souligne dans sa préface, la mort de Marx, est proclamé depuis des années, sans que cela amène à un affaiblissement du nombre de travaux sur ce dernier, ni du nombres de personnes qui se réclament de Marx.
Pour revenir sur le contenu de l'ouvrage, Heinrich restitue l'enfance de Marx à Trèves, dans le contexte historique : avec la déroute napoléonienne qui suit la campagne de Russie, au congrès de VIenne, le royaume qui était dirigé par Jérôme, le frère de Napoléon, devient possession prussienne. Ce qui ne va pas sans poser problèmes la population bourgeoises de Trèves étant dans l'ensemble, favorable à la France et en particulier à son code civil. Ces parties de mise en contexte apparaissent souvent fastidieuse, mais elles sont néanmoins, je pense, nécessaire pour comprendre l'éducation de Marx.
Ce dernier, fils d'Heinrich Marx, avocat d'origine juive converti au protestantisme, suit d'abord des études à Trèves, puis à Bonn, avant de les poursuivre à Berlin. C'est là véritablement que se forme intellectuellement Karl Marx. Il suit des cours de droits, dans une époque marqué par le souvenir du "despote éclairé" Frédéric II, souvenir qui contraste avec l'absolutisme en vogue dans les cercles du pouvoir prussien.
Mais c'est en au fil de rencontre notamment avec Bruno Bauer, qu'il devient membre d'un courant, ou plutôt d'un groupe "les jeunes hégéliens". Ces derniers poussent la philosophie d'Hegel dans ses derniers retranchements, polémiquant contre les hégéliens conservateurs. Cela va jusqu'à la proclamation de l'athéisme, passant par une lecture critique des Évangiles.
Karl Marx, y perdra sa foi : il commence sa thèse de doctorat par une citation du Prométhée, d'Euripide, ou Prométhée maudit tout les dieux.
La force du travail d'Heinrich est de resituer les premiers travaux de Marx, dans l'atmosphère bouillonnante de Berlin. Alors que Marx est encore loin d'être un communiste, on voit percer par endroits, des positions courageuses pour l'époque.
Au final Heinrich parvient à remettre le lecteur dans le bain du XIXème siècle allemand, n'omettant aucun détails.
A titre d'exemple, et pour terminer : il va jusqu'à préciser que la thèse à l'époque n'a pas grand chose à voir avec la thèse actuel, tel qu'on peut la trouver dans les sciences humaines.