Dans cet opuscule (et sa suite, La contrôle de la parole), Schiffrin raconte comment l'édition (aux USA puis en France et dans le monde) est devenue une gigantesque usine à merdes commerciales destinées à engendrer toute sorte de cons (-plaisants, -promis, -sternants, -plices et, bien sûr, -sommateurs).
Comme Schiffrin fut lui-même fils d'éditeur puis éditeur, il va de soi que ce qu'il raconte est vrai, documenté, crédible et passionnant. Du moins, si l'on trouve passionnant de se sentir en permanence au bord de l'écoeurement face à tant de stupidité, de cupidité, d'avidité, de complicité, de lâcheté tous azimuts (que ce soit de la part des politiques, des journalistes, des magistrats et aussi, hélas, des membres du public).
En à peine 170 pages, il décrit minutieusement le naufrage orchestré et programmé de l'intelligentsia française qui a conduit un crevard sociopathe du calibre de Macron au pouvoir suprême, constitutionnellement indéboulonnable et socialement inopposable. La destruction de la parole publique par des marchands d'armes, de cosmétiques et de sandales en plastique est clairement responsable de la disparition actuelle de tout processus démocratique dans notre pays et en Europe. Le fait qu'une majorité de décérébrés continue à regarder leur télévision et à lire leur presse est la preuve irréfutable que c'est bel et bien en publiant de la merde qu'on fabrique des cons, et non parce que le public demande de la merde, comme le prétendent les éditeurs morveux.
Gros bémol, tout de même : étant issu de leur milieu, Schiffrin est bien gentillet avec les éditeurs de sa propre génération, oubliant bien vite (pour ne pas les froisser, sans doute, ces chers amis de trente ans) que les Antoine Gallimard et autres Pierre Nora sont tout aussi responsables de la situation actuelle, puisqu'ils n'ont songé qu'à sauver leurs abattis au lieu de combattre ensemble le système libéral d'extrême-droite. (Vous pouvez d'ailleurs vérifier sur ce site même, que bon nombre de gogos sont persuadés que Schiffrin était un "indépendant", un "défenseur de la liberté", un type qui a des "valeurs".., et autres clichés du ventre-mou de la politique franchouillarde.)
Ceux-là, je règle leur compte dans mon pamphlet Il était une mauvaise foi, qu'évidemment, aucun éditeur n'a voulu publier, y compris La Fabrique, qui a prétendu ne pas publier de témoignages personnels; quand je leur ai rappelé que l'opus de Schiffrin en était un, ils.. n'ont pas répondu. C'est ça, un éditeur français: quelqu'un qui n'a qu'un seul talent, mais extrêmement développé: ne pas sentir l'odeur de sa propre merde.