André Schiffrin, la référence en matière d'indépendance

Premier livre de chevet de l'éditeur en herbe, L'Édition sans éditeurs amorce les questions d'indépendance dans des métiers de plus en plus pervertis par les phénomènes de concentration.

Dans ce petit ouvrage dont le titre est emprunté à Jérôme Lindon, André Schiffrin témoigne, grâce à son expérience, des conséquences néfastes de la concentration aux États-Unis pour les métiers à vocation artistique et intellectuelle.

Outre l'histoire particulière de son père, Jacques Schiffrin, fondateur de La Pléiade avant que la maison ne soit rachetée par Gallimard, André Schiffrin a été éditeur chez Pantheon Books aux États-Unis, une maison au catalogue prestigieux et exigeant, puisque les écrivains et intellectuels reconnus en France – Michel Foucault, Jean-Paul Sartre, Marguerite Duras, Simone de Beauvoir – y étaient publiés outre-Atlantique.

Mais si André Schiffrin témoigne, c'est parce que Pantheon Books a été rachetée par Random House, laquelle a été phagocytée par RCA, un géant de l'électronique et de l'industrie du divertissement, lequel n'a pas tardé à revendre Random House à S. I. Newhouse...

Partant de l'exemple vécu à la multitude de cas similaires dans les années 1980, André Schiffrin montre les conséquences désastreuses de la concentration dans un milieu encore artisanal à bien des égards. Les groupes industriels exigent des maisons la même rentabilité que pour les autres branches commerciales et industrielles du conglomérat, alors que leur fonctionnement diffère beaucoup. Une maison d'édition ne pourrait jamais engendrer autant de profits qu'une entreprise de bâtiment, par exemple.

Les maisons, qu'elles soient destinées à un public confidentiel comme Pantheon Books, ou à un plus large public, se voient contraintes d'augmenter leur rentabilité, laquelle est intrinsèquement faible dans les métiers de l'édition. Pour s'aligner à la logique du marché, les dirigeants des maisons modifient la politique éditoriale de l'entreprise afin d'abaisser le niveau intellectuel et pour plaire au plus grand nombre.

Ils se font consensuels, s'autocensurent, diminuent les exigences littéraires, minimisent les risques éditoriaux en copiant des formules gagnantes d'autres éditeurs – les mille et un Twilight... – dans le but de remplir le tiroir-caisse et de satisfaire le contrôleur de gestion, devenu le premier éditeur en lieu et place du directeur littéraire...

André Schiffrin cible le danger de publier ce que le public est présumé vouloir. La censure ravage le patrimoine culturel et intellectuel, sous prétexte que les lecteurs ne voudraient pas lire tel type ou tel autre type de texte. Si la pensée politique dominante est le capitalisme, les éditeurs ne publieront-ils que des textes dans ce sens ?

Quel est donc le rôle de l'éditeur, s'il n'est pas celui de provoquer l'attention du lecteur sur un texte oublié, méconnu ou à contre-courant ?

Alors l'indépendance est essentielle : si elle n'est pas financière, elle doit être intellectuelle, car c'est l'engagement des maisons qui nourrit le débat public et la confrontation des opinions nécessaires à la démocratie.

En moins de cent pages, il expose des faits alarmants et lance le débat : pourquoi faut-il préserver l'indépendance des maisons d'édition ? Pour les futurs éditeurs et les curieux du livre, cet ouvrage est le début d'une prise de conscience. Pour les autres, c'est déjà un incontournable !

Mais la démarche est propre à André Schiffrin : si ce qu'il énonce fait sérieusement froncer les sourcils – car en France nos conglomérats Hachette et Editis sont comparables aux monstres étatsuniens – il termine son texte en ouvrant quelques pistes. D'autres formes d'organisation existent qui permettent de préserver l'indépendance : la fondation, l'association, l'abonnement...

La critique sur mon blog :
http://www.bibliolingus.fr/l-edition-sans-editeurs-andre-schiffrin-a80136712
Lybertaire
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 21 juin 2012

Critique lue 210 fois

2 j'aime

1 commentaire

Lybertaire

Écrit par

Critique lue 210 fois

2
1

D'autres avis sur L'Édition sans éditeurs

L'Édition sans éditeurs
Lybertaire
10

André Schiffrin, la référence en matière d'indépendance

Premier livre de chevet de l'éditeur en herbe, L'Édition sans éditeurs amorce les questions d'indépendance dans des métiers de plus en plus pervertis par les phénomènes de concentration. Dans ce...

le 21 juin 2012

2 j'aime

1

L'Édition sans éditeurs
alfredboudry
6

Tant de cerveaux à louer !

Dans cet opuscule (et sa suite, La contrôle de la parole), Schiffrin raconte comment l'édition (aux USA puis en France et dans le monde) est devenue une gigantesque usine à merdes commerciales...

le 6 janv. 2022

1 j'aime

L'Édition sans éditeurs
alexabolino
7

Critique de L'Édition sans éditeurs par Alexa Bolino

L’édition sans éditeurs André Schiffrin En 1999, André Schiffrin, dans son livre « L’édition sans éditeurs », dénonce le danger qu’encourent les maisons d’éditions indépendantes dû à la...

le 20 mars 2016

Du même critique

Les Jeunes Filles
Lybertaire
10

« Dans quels phantasmes elle vit ! »

Écrire les relations entre les hommes et les femmes, rien de plus délicat ! Montherlant est un maître en la matière : jamais faux, toujours drôle, voire cynique, il se pose en observateur des mœurs...

le 29 août 2012

9 j'aime

3

Sociologie de la bourgeoisie
Lybertaire
8

Une classe mobilisée et dominante

Si la lutte des classes n'existe plus au sens marxiste, la bourgeoisie est la seule classe sociale à avoir conscience de soi, de ses intérêts et de ses limites. La bourgeoisie et la noblesse...

le 18 avr. 2012

9 j'aime

8

Propaganda
Lybertaire
8

"Des dirigeants invisibles contrôlent les destinées de millions d’êtres humains"

Il y a des thèmes dont on parle peu, à tort. La propagande est de ceux-là. Qu’est-ce que la propagande ? Pour Bernays, la propagande regroupe un ensemble de techniques visant à manipuler l’opinion...

le 29 mars 2013

8 j'aime

4