Ah, la campagne anglaise ! Ses brumes, ses chemins creux, ses averses, ses traditions et ses manoirs remplis de gens bien comme il faut ! De gens bien comme il faut ? c'est ce qu'on pourrait croire de loin, mais prêtez-les quelques jours au fieffé Meredith, et vous allez voir ce que vous allez voir !
L'égoiste éponyme, c'est le maître des lieux : sir Willoughby. Grand seigneur, portant beau, arrogant, et persuadé qu'il est l'homme le plus généreux qui soit. A sa droite la jeune et jolie Claire, qui a accepté de devenir bientôt sa femme, à sa gauche la sage Laetitia qui l'aime depuis des décennies en silence. Et puis Vernon le cousin, Horace l'ami facétieux, les pères des deux femmes, les voisines, les tantes… tout un aréopage qui va danser un quadrille d'enfer à partir du moment où Claire fait la folie de lire dans son coeur : non, elle ne veut plus épouser l'affreux autolâtre.
Marivaux sauce anglaise, mené tambour battant par un narrateur omniscient qui use de l'ironie comme de la loupe la plus dévastatrice qui soit ! Chacun y va de son subterfuge, on truque, on échafaude, on change de partenaire ou d'avis comme de chemise, et dehors il pleut, évidemment. Oui, c'est ainsi que les hommes vivent.
Mais derrière la comédie échevelée, c'est un tableau assez noir, en tout cas sans complaisance aucune que brosse de son fin pinceau Meredith. Il saute sur chaque soupir, chaque sursaut, chaque haussement de sourcil pour disséquer l'esprit et le coeur de ses contemporains. Hommes lâches et tyranniques, femmes opprimées et infantilisées, le romancier n'aurait pas démérité d'appartenir au grand siècle des Moralistes français. Et quand se termine le quadrille, il a beau faire sa révérence sur un éclat de rire, son conseil pour autant n'en est pas moins sérieux : si vous voulez avoir une chance de vivre heureux, pauvres animaux humains, n'oubliez pas la seule chose qui importe : trouvez donc un miroir impartial (oui oui certains livres peuvent aussi faire l'affaire) et regardez-vous y bien en face.