Pour une fois, l'infernal duo De Lorde-Binet délaisse les maisons de fous pour mettre en scène une tragédie familiale : le Docteur Charrier voit sa fille adorée mourir brutalement dans un accident de voiture. Or, le Docteur Charrier, bien représentatif de l'avant-garde médicale qui prévalait à cette époque (1909), est à la fois spécialiste du système nerveux, et adepte de l'excitation nerveuse par application de courants électriques. Il va donc tenter de remettre en marche le coeur de sa fille en lui appliquant de l'électricité.


Hormis le fait qu'il s'agit ici d'un cadavre récent, mais intègre dans toute son anatomie (à défaut de l'être dans sa physiologie), on sent l'ombre du Docteur Frankenstein rôder au fond du couloir. Car il s'agit bien, ici, de réanimer ce qui est mort à coups de décharges électriques (l'électricité étant le nec plus ultra du progrès technique à la Belle Epoque).


Pour susciter une vive émotion chez le spectateur, André De Lorde et Alfred Binet en rajoutent dans le tragique : le Docteur Charrier est déjà chagriné de voir sa fille lui échapper parce qu'elle va se marier sous peu, et ses manifestations d'affection envers elle sont tout de même excessives (le Docteur Charrier, en fin de compte, a-t-il vraiment tout son équilibre émotionnel ? Le thème de la folie n'apparaît pas, mais on sent ses remugles pas très loin). La frénésie désespérée avec laquelle le Docteur Charrier entreprend l' "Horrible Expérience" tend à confirmer ce soupçon, alors que, par contraste, le fiancé de la fille incarne une attitude réaliste et raisonnable.


La scène de vie de famille, gaie et empreinte de tendresse, qui domine au début, est nécessaire pour rendre plus brutale la triste réalité de la fin. Par ailleurs, les auteurs nous téléphonent un peu trop ostensiblement ce qui va arriver : avant la tragédie, le Docteur Charrier nous expose avec un certain détail la nature de ses recherches électro-neurologiques; une deuxième scène, avec un bourreau, est là pour nous laisser deviner que l'expérience va vraiment tourner mal; et la fille part seule en voiture en comptant prendre un raccourci... Si le spectateur n'a pas pressenti ce qui se trame dès cet instant, c'est qu'il est assez bouché.


Quant au côté horrible annoncé par le titre, on en a tout de même une bonne dose : outre que l'expérience du Docteur Charrier passe par une intervention chirurgicale mise directement sous les yeux du public, la fin de l'intrigue est évidemment horrible, et de nature à donner quelques cauchemars.


Mais ces imbéciles de spectateurs sont venus pour ça, non ?

khorsabad
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le 19 sept. 2016

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